Pour le président de l’Ile-de-France, les « gares ont toujours été des facteurs de développement économique », d’où la nécessité de lier relance économique et mobilité des personnes. De manière plus générale, il estime « qu’aucun État dans aucun pays ne peut réussir s’il ne s’appuie pas sur un partenariat et même une complicité avec les régions ». Une occasion de réfléchir aux derniers textes sur la décentralisation…
Toutes les régions de France ne se ressemblent pas. Selon leur histoire et leur démographie, elles n’ont pas toutes les mêmes relations avec l’État, les départements, les métropoles ou les grandes agglomérations. Les répartitions de compétences entre les différentes collectivités territoriales doivent-elles être différentes selon les lieux et les climats ?
C’est l’option prise par le gouvernement : des conférences présidées par le préfet et le président du conseil régional doivent en effet conduire, dans chaque région, à des répartitions « à la carte » des compétences entre les différentes collectivités. L’idée est de s’adapter aux réalités des territoires mais j’ai tendance à penser que le temps nécessaire à la mise en application des décisions nous oblige à définir des règles durables de répartition des compétences. Dès le départ, il peut y avoir des jeux d’influence entre les intercommunalités, les départements, les régions et l’État en fonction des réalités de l’endroit et du moment. Le danger serait de répartir les responsabilités dans un contexte d’actualité puis de s’apercevoir que, celui-ci évoluant, la répartition opérée ne présente plus la même pertinence que quelques années plus tôt. À titre d’exemple, la décentralisation des transports en Ile-de-France date de 2004 – loi Raffarin – mais elle n’a été mise en œuvre qu’à partir de 2006 compte-tenu des difficultés de financement des compensations. Nous sommes aujourd’hui en 2013 et c’est seulement maintenant que l’on peut dire que cela a changé les choses en matière de développement des transports.
En somme, ce qui est vrai aujourd’hui pourrait ne pas l’être demain. La capacité d’anticipation – notamment en matière économique – des régions vous paraît-elle minorée dans les récents projets du gouvernement ?
Je suis très attaché à la décentralisation car l’État, dans aucun pays, ne peut réussir s’il ne s’appuie pas sur un partenariat, et même une complicité, avec les régions. La Région Ile-de-France dispose d’un budget de cinq milliards d’euros : c’est plus que le budget de certains ministères. Héritage de l’histoire, nous n’avons pas beaucoup de fonctionnaires comparés aux autres collectivités territoriales : nous sommes du coup avant tout des « investisseurs » et il importe de reconnaître aux régions leur statut de « chefs de file de l’investissement public ». C’est le cas en matière de transports et de formation professionnelle et cela devrait l’être aussi en matière de développement économique, notamment pour ce qui concerne l’innovation et le soutien aux PME/PMI. Le deuxième texte élaboré par le gouvernement, qui viendra en discussion à l’automne, affirme bien le rôle des régions en ce domaine et l’on ne peut que s’en réjouir.
Dans les grandes masses du budget de la Région Ile-de-France, 1,5 à 2 milliards sont consacrés aux transports, un milliard aux lycées, neuf cent millions sont destinées à la formation professionnelle… Le reste est affecté à tous les domaines de responsabilité sur lesquels la Région consent d’intervenir – parce que nous tenons à ce que l’on appelle la « compétence générale » : nous intervenons ainsi en faveur de la culture, du sport et de la santé et de l’action sociale – avec des missions liées à la maladie d’Alzheimer et aux handicapés – et même en matière de logement pour lequel nous ne disposons pas, en principe, de compétence obligée. Avec 250 millions d’euros sur le logement, nous sommes les principaux financeurs publics en Ile-de-France. Ce rôle d’investisseur est bien reconnu par les nouveaux textes sur la décentralisation même si je regrette le « découpage » en trois projets de loi, en commençant par la définition de la métropole. Il eût été plus logique, à mon sens, de prendre pour angle d’attaque « la régionalisation de la France ».
L’Ile-de-France est-elle une région comme une autre ?
J’ai toujours milité pour que l’Ile-de-France reste « dans le droit commun » et que le gouvernement n’invente pas un ministère de « la région capitale» comme il l’a fait lors de la précédente mandature. Ne pas revendiquer de statut juridique spécifique me paraît la meilleure façon de garder la maîtrise de notre destin, même si nous présentons évidemment des particularités. Notre schéma d’aménagement est, par exemple, prescriptif : il nous appartient de décider, en partenariat avec les autres collectivités territoriales, des endroits où il faut protéger l’agriculture, ouvrir à l’urbanisation ou implanter un équipement comme une université. La Région Ile-de-France prend ainsi des décisions « opposables aux tiers ».
Même lorsque ces « tiers » sont la ville de Paris ou les départements ?
Oui, mais nous n’avons jamais exercé la « tutelle » d’une collectivité sur une autre, ce qui serait d’ailleurs constitutionnellement impossible. Le partenariat est la règle, la subsidiarité notre ligne de conduite. Par exemple, en matière de financement des investissements majeurs, nous avons opté depuis longtemps pour des partenariats à « 50/50 » avec les départements – avec une variation qui tient compte des ressources des collectivités, la Seine-Saint-Denis étant comme chacun sait moins bien lotie que les Hauts-de-Seine. Nous ayons cinq départements de gauche et trois de droite et nous avons de très bons rapports avec tous nos partenaires avec qui nous cofinançons un grand nombre de projets.
Laisser des compétences générales aux intercommunalités, aux départements et aux régions, n’est-ce pas conserver le fameux « mille-feuille » des collectivités territoriales si souvent fustigé ?
Pour prendre un exemple : en matière de transport, les départements commencent à apporter beaucoup de financement, conscients qu’il s’agit là d’une compétence qu’ils ont intérêt à porter à nos côtés. Je ne vois pas en quoi des partenariats intelligents « ajoutent au mille-feuille » dans la mesure où l’on mutualise des efforts. Nous n’allons pas nous substituer à un département pour construire une maison de retraite mais seulement lui apporter ce qui lui manque pour la faire ! Et nous allons dans le même sens, qui est celui de l’intérêt général !
Dans notre région, les départements ont tous plus d’un million d’habitants. L’identité départementale est, de plus, mieux ancrée dans les esprits que l’identité régionale, tout simplement parce qu’elle est beaucoup plus ancienne. Cela ne peut pas être sous-estimé. Une Région telle que la nôtre est à la fois un « poids lourd » financier et « le petit dernier » de la famille des collectivités territoriales, ce qui pose d’ailleurs le problème des ressources : les régions sont sans doute moins contraintes financièrement que les départements mais elles ont du faire face au désengagement de l’État en bien des domaines, comme la culture et la sécurité. Pour l’exemple, je me souviens que lorsque j’ai signé une convention avec Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, il m’a dit : « tu as plus de moyens pour les commissariats que je n’en ai pour la France entière »… Nous avons été aussi amenés à financer la sécurité dans les transports. Cette substitution aux missions régaliennes de l’État montre bien qu’il nous faudrait une ressource fiscale spécifique qui nous sorte de la dépendance créée par des dotations.
Comment évolue la question d’une fiscalité propre aux Régions ?
Quand l’Etat indique qu’il va diminuer les dotations aux collectivités dans les trois années à venir, la question se pose de savoir comment nous faisons, en retour, pour faire fonctionner nos lycées, nos transports et tout le reste. Nous avons besoin d’une ressource dynamique. Nous recevons une partie de la TIPP sur les carburants, avec un coût marginal pour les automobilistes (quelques centimes par plein d’essence), le produit d’une taxe sur les cartes grises qui est déclinant compte-tenu du caractère peu dynamique des immatriculations en ce moment ; les autres ressources liées aux transports vont directement au STIF et non à la région. Le reste vient des dotations de l’État, ce qui est compliqué à gérer quand celui-ci traverse une période de restriction. Les dernières lois de finances obligent en outre à une péréquation entre les régions dont je ne critique pas le principe mais qui pose des vraies questions d’équilibre territorial : vous imaginez facilement que, dès que l’on parle de « régions pauvres » et de « régions riches », les regards se tournent vers l’Ile-de-France. Or, nous avons d’importantes charges liées à notre statut de « région-capitale ».
Avec douze millions d’habitants, la fiscalité régionale reste très faible. Surtout que de fil en aiguilles, il a été retiré à la Région le produit des prélèvements sur la taxe d’habitation puis celui de la taxe foncière et de la taxe professionnelle. Tout cela a été remplacé par la fameuse CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises), mécanisme tellement peu lisible qu’il interdit de fait toute simulation réaliste : il est très difficile de savoir, d’une année sur l’autre, ce qu’un tel impôt peut rapporter…
Où en est le Grand Paris aujourd’hui ?
Le 6 mars dernier, Jean-Marc Ayrault a scellé le lancement et le sort d’un Nouveau Grand Paris, dans le prolongement de l’accord que nous avions pu passer avec Maurice Leroy. Il prévoit un réseau de quatre lignes de métro automatique et de 72 gares autour de Paris, qui mettra tous les Franciliens à moins de deux kilomètres de chacune d’entre elles.
Si plusieurs « Grand Paris » ont pu être évoqués, c’est bien celui des transports qui est fondamental, tant les écarts de développement sont considérables entre l’est et l’ouest de la région. La mobilité s’en retrouvera nettement fluidifiée et les trajets d’une banlieue à l’autre seront directs, évitant aux usagers de passer systématiquement par Paris. Il reste encore à déterminer s’il faudra relier les lignes de métro à la rocade en construisant des tramways qui circuleront jusqu’aux parkings des grandes gares franciliennes.
Malgré les enjeux financiers évoqués, le planning de réalisation suit son cours et les « premiers coups de pioche » vont être donnés pour l’extension de la ligne 14 qui devrait s’achever en 2017. L’enquête publique va également commencer sur la première partie du projet entre le Pont de Sèvres et Noisy-Champs.
À l’heure où les économistes se disputent autour des prévisions sur les retombées économiques du Grand Paris, ce projet peut-il vraiment permettre à l’Île-de-France de renouer avec croissance, comme le pense Jean-Marc Ayrault ?
Ce projet est un élément fort de relance économique, ne serait-ce que par le nombre d’emplois qu’il va directement généré. Historiquement, les gares ont toujours été des facteurs de développement économique. Les études menées sur le Grand Paris estiment qu’il devrait créer à terme entre 200 000 et 300 000 emplois, qui impulseraient une croissance supérieure de 0,2 points à celle qui était prévue initialement.
Par ailleurs, le Premier ministre a décidé de s’accorder avec la Région sur les bases d’un nouveau contrat dédié aux transports pour assurer le financement des six milliards de dépenses nécessaires à la modernisation des RER, des métros, le prolongement des tramways, etc. Transformées en centres d’activités, les 72 gares inciteront les mairies à construire des logements au travers des Contrats de développement territorial (CDT) pour gagner en dynamisme.
Le « Grand Paris des transports » esquisse-t-il d’autres regroupements selon le même schéma géographique ?
L’idée d’un Grand Paris plus « institutionnel » fait effectivement partie des perspectives de la loi actuelle. Néanmoins, il nous faut veiller à ce que le concept de métropole (souvent associé à la Région) ne conduise pas à favoriser des logiques d’exclusion de certains territoires de grande couronne qui disposent pourtant de vastes terrains propices à la construction et au développement de l’activité.
Comment entrevoyez-vous les perspectives politiques dans les prochaines années en Ile-de-France ?
Je crois qu’il faut d’abord observer quel sera l’effet des élections municipales sur les régionales et en évaluer les enjeux, locaux ou nationaux. Si les derniers scrutins ont été largement gagnés, nous devons rester prudents quant à la présence du Front national, en grande couronne et dans les villes intermédiaires notamment. Je ne parierais donc ni sur un échec sanglant ni sur un triomphe aux municipales, même si je suis confiant sur la capacité d’Anne Hidalgo d’ancrer Paris à gauche.
Et vous, comptez-vous être à nouveau candidat ?
Honnêtement, je n’ai pas encore pris ma décision car je tiens d’abord à avancer rapidement sur le dossier du Grand Paris, terminer mon plan lycée et déployer nos politiques publiques en matière de développement économique. Ce qui est demandé par nos concitoyens, c’est d’être à leurs côtés dans cette période économique difficile et d’accélérer encore l’action de la Région dans de nombreux domaines. C’est ce à quoi je m’emploie avec l’appui de l’ensemble des forces politiques de ma majorité. Je suis un président à temps plein pour la Région. Je crois que c’est ce dont les Franciliens ont besoin.