Un entretien avec Gilles Simeoni,
Président du Conseil éxécutif de Corse
Après plusieurs décennies de présence militante, les nationalistes sont pour la première fois aux commandes de la Corse : pensez-vous avoir pu combler un “vide” face aux autres forces politiques en perte de vitesse ?
Les élections territoriales en Corse ont en effet consacré une véritable révolution démocratique. L’aspiration au changement, portée par toutes les forces vives, s’est clairement manifestée : d’une part, en signifiant le rejet de tous les systèmes politiques claniques et opaques qui ont conduit l’île dans une situation économique, sociale et culturelle extrêmement difficile (chômage en croissance, précarité galopante, crise des transports, des déchets et des finances publiques…), d’autre part, en optant pour un choix d’émancipation collective assumée, portée par la liste “Pè a Corsica” que je conduisais. Les Corses ont choisi la voie de l’équité, de la transparence, de la démocratie réelle, du respect de leur langue et de leur culture, de leurs droits collectifs en tant que peuple, communauté de destin, de la défense de leurs intérêts moraux, économiques et sociaux en toute circonstance.
Ils ont aussi fait le choix d’un projet de réappropriation des outils essentiels pour assumer leur développement économique en tournant le dos à l’assistanat et à la trop forte dépendance vis-à- vis de Paris, trop souvent entretenue à dessein. Ce message fort et historique issu des urnes constitue un tournant majeur pour la société insulaire. Il nous oblige à être à la hauteur des attentes et des enjeux. Notre victoire n’est pas seulement celle d’une force politique ou d’un courant. Elle doit devenir celle de la Corse et de tous les Corses. Être au service du peuple et de l’intérêt général : c’est le sens du serment pris le 17 décembre.
Votre victoire instaure clairement un revirement pour la Corse : quelles seront, concrètement, vos revendications envers l’État ?
L’Etat doit prendre en considération l’exacte mesure du changement profond qui s’opère en Corse. Il ne peut s’inscrire dans un déni de démocratie en refusant d’aborder les questions posées depuis plus de 50 ans par la Corse, validées majoritairement par l’Assemblée de Corse et aujourd’hui de manière éclatante par un scrutin territorial sans équivoque.
Oui, le peuple corse, communauté de destin ouverte, faîte de Corses d’origine et Corses d’adoption, existe depuis des siècles avec sa langue, son rapport à la terre, son rapport à la méditerranée et au monde. Oui, il est légitime qu’à l’instar de toutes les îles d’Europe, et de la plupart des régions européennes ou nations sans Etat, notre communauté obtienne la reconnaissance juridique et constitutionnelle de ses droits, puisse légiférer dans un certain nombre de domaines essentiels, obtienne l’autonomie financière pour ne pas vivre au crochet de l’Etat. Tout cela doit se traduire par des politiques fortes, dans des domaines du quotidien : emploi, déchets, infrastructures, transports, etc… Mais aussi par des réformes de fond sur la coofficialité, le statut de résident pour stopper la spéculation et garantir l’accès à la terre et au logement, le transfert de la compétence fiscale (notamment la fiscalité des successions), la construction réussie de la collectivité unique en symbiose avec des intercommunalités adaptés au territoire insulaire, enfin, l’inscription de la Corse dans la constitution pour qu’un statut d’autonomie et un pouvoir législatif puissent voir le jour. Tout cela devra se concrétiser dans une discussion au grand jour au travers des groupes de travail constitués. Le respect mutuel et le dialogue franc doivent être instaurés.
Le refus systématique ne peut tenir lieu de politique durable concernant la Corse dans le contexte d’aujourd’hui. Nous avons œuvré et continuons d’œuvrer pour l’apaisement au sein de la société corse. Un des signes les plus forts de cette volonté de construire la paix a été le dépôt des armes réalisé par le FLNC en juin 2014. La paix, dans un conflit politique de plusieurs décennies, doit continuer à se construire à deux. C’est le sens de notre message lorsque l’on dit que l’Etat doit faire sa part du chemin sur les questions centrales posées précédemment, de même qu’en réalisant le rapprochement des prisonniers conformément à la loi, et en mettant à l’ordre du jour la question de l’amnistie, qu’il faut traiter pour solder définitivement la période conflictuelle passée. Tout ne se passera pas en un jour, mais les plus longues marches commencent par un pas.
Avec une majorité relative, vous devrez également composer avec les autres forces du territoire pour gouverner : pensez-vous avoir la marge de manœuvre suffisante pour mener à bien vos projets ?
Toutes les forces politiques en Corse ont pris la mesure du tremblement démocratique qui s’est déroulé lors de ce scrutin. Il est bon aussi de préciser que sur les sujets centraux qui nous occupent (langue, fiscalité, foncier, spécificités dans la constitution, Padduc…) de nombreux élus de gauche et de droite, y compris au sein de l’Assemblée de Corse, partagent désormais les positions politiques portées il y a peu par le seul nationalisme, puisque des délibérations largement majoritaires existent déjà sur ces sujets.
Notre volonté est de rechercher des consensus forts sur les thèmes engageant l’avenir immédiat de notre pays sur le plan économique, social et culturel, en trouvant des points d’équilibre avec celles et ceux qui ne partagent pas nos idées. Les Corses nous ont aussi mandatés pour renforcer la démocratie réelle et la cohésion d’ensemble qui est en train de de construire. Nous sommes donc à la fois déterminés et optimistes. Les solutions sont à portée de main.
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