- Un entretien avec Gérard Collomb, le sénateur-maire de Lyon ©Ville de Lyon
Qu’attendez-vous de la 40e édition des Journées des communautés urbaines de France ?
Comme chaque année, je souhaite que ce grand rassemblement d’élus, de techniciens et de partenaires nous permette de tirer parti de nos expériences respectives et d’identifier ce qui nous rassemble, afin de porter devant le gouvernement et l’ensemble des acteurs du développement territorial un message fort au nom de la reconnaissance du fait urbain et métropolitain.
Cette 40e édition des Journées des communautés urbaines de France intervient dans une séquence politique particulière puisqu’un nouvel acte de la décentralisation est en cours de préparation. Nous accueillerons ainsi lors de notre congrès Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, Cécile Duflot, ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, Bernard Cazeneuve, ministre chargé des Affaires européennes et Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la Décentralisation.
À l’occasion de ce rendez-vous, vous passerez le relais de la présidence de l’association à Michel Delebarre.Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
Je souhaite tout d’abord à Michel Delebarre une présidence fructueuse et enrichissante, et je ne doute pas de sa capacité à faire face aux nombreux défis auxquels sera confrontée l’ACUF dans les prochaines années. Je retire de cette présidence un bilan extrêmement positif et ce tant dans nos méthodes de travail que dans le fond même des dossiers.
Sur le premier point, l’ACUF a toujours préconisé le travail en réseau avec les autres associations d’élus et le rapprochement de nos positions. Je me félicite notamment de la fructueuse collaboration avec l’Asso-ciation des maires de France et des grandes villes de France comme avec les autres associations représentatives du bloc local mais également les départements et les régions. Ceci a contribué à l’émergence de propositions communes dans une période où le dialogue avec l’État était particulièrement difficile.
Sur le fond, l’ACUF a contribué à ce que le fait urbain et métropolitain soit davantage reconnu, bien qu’un important chemin reste à parcourir. Nos agglomérations sont en effet des moteurs de croissance, des cœurs de réacteurs dont la poussée profite à tous. Ce sont aussi des vecteurs de solidarité, qui structurent et animent nos bassins de vie et contribuent à leur cohésion sociale et territoriale.
Il nous reste encore à mieux faire reconnaître ce rôle, et à doter nos grandes agglomérations des moyens nécessaires à leurs missions, aussi bien en termes de démocratie locale, de compétences qu’en termes financiers. La question du financement des investissements locaux est pour moi une préoccupation majeure à l’heure où je m’apprête à transmettre la présidence de l’ACUF à Michel Delebarre.
Quels auront été les temps forts de votre présidence ?
J’en évoquerai trois : la réforme de la taxe professionnelle, la loi de réforme des collectivités territoriales et l’Agence de financement des investissements locaux. Avec des points communs : sur chacun des sujets, l’ACUF a été au centre de la mobilisation collective des différentes associations de collectivités territoriales et sur chaque sujet, son ambition est de faire bouger les lignes et d’instaurer un dialogue cohérent et constructif avec l’État. Elle y a réussi pour les deux premiers. La réforme de la taxe professionnelle a pu être infléchie dans le sens d’une meilleure prise en compte des réalités de territoires, notamment ceux accueillant un fort tissu industriel ; de même, la question de la péréquation, même si beaucoup reste à faire, est désormais traitée de manière plus équilibrée que dans le projet initial. S’agissant de la réforme des collectivités territoriales, en dépit de son échec par rapport aux ambitions affichées, on peut se féliciter de la création, largement portée par l’ACUF du “pôle métropolitain”, vecteur particulièrement souple de coopération interterritoriale, avec le succès qu’on lui connaît puisqu’on compte actuellement huit pôles constitués et 20 en projet sur l’ensemble du territoire. S’agissant du troisième sujet, nous gardons bon espoir de faire fléchir Bercy car la très grande majorité des acteurs locaux, et jusqu’aux représentants de l’État, s’accordent à dire que cet outil est plus que jamais nécessaire dans le contexte particulièrement difficile qui est celui du financement des investissements locaux.
Sur le plan de notre fonctionnement, c’est aussi une période pendant laquelle les élus de nos territoires ont été plus mobilisés à travers notamment la participation à des commissions partagées avec les associations du bloc local, en particulier l’AMGVF. Nous avons également concrétisé un rapprochement physique dans des locaux communs avec l’AMGVF, l’AdCF, le GART, la FNAU et Ville & Banlieue, gage d’un travail plus efficace en particulier sur les enjeux urbains. Nous y accueillons d’ailleurs la permanence de la Coordination nationale des conseils de développements dont nous avons soutenu la création.
Le “conseiller territorial” créé par le précédent gouvernement ne verra finalement jamais le jour. Bonne ou mauvaise nouvelle ?
Cela revient en tout cas sur un contresens majeur. Les conseillers territoriaux seraient devenus des “super délégués” cantonaux sans aucune vision stratégique, alors même qu’ils constituent les piliers sur lesquels doit reposer l’action régionale. Qui plus est, cette création était démocratiquement douteuse dans la mesure où elle substituait à l’élection démocratique des conseillers régionaux une élection hybride des conseillers territoriaux, uninominale dans les territoires ruraux, où la droite est majoritaire, et proportionnelle dans les territoires urbains, là où elle est plus minoritaire.
Un nouvel acte de la décentralisation sera bientôt adopté. Quels espoirs a-t-il suscité pour les communautés urbaines ? Avez-vous le sentiment d’avoir été entendu par le gouvernement ?
La question n’est pas de savoir si les communautés urbaines ont un espoir particulier envers le futur texte, mais s’il peut laisser espérer une meilleure réponse aux besoins exprimés par les habitants, citoyens et usagers que nous partageons avec les communes, les départements et les régions.
Il s’agit aussi de permettre un meilleur positionnement des territoires de croissance dans la compétition européenne et mondiale. Dans ce cadre, les espaces urbains et métropolitains jouent à l’évidence un rôle majeur.
Je constate que le gouvernement a été attentif à la nécessité de renforcer le statut des territoires métropolitains. Lorsque les métropoles vont bien, le pays va bien. Cette montée en puissance nécessaire des grandes agglomérations devra se faire de concert avec les régions, mais sans qu’aucun principe de tutelle ne soit envisagé entre les deux échelons. Il n’est à ce titre pas envisageable de déposséder les agglomérations de la compétence développement économique.
La réforme semble dégager un couple décisionnaire intercommunalité-région, au détriment des départements redoutent les présidents de conseils généraux. Partagez-vous ce point de vue ? Quel rôle doit être celui des départements en France ?
L’efficacité de l’action publique dépend de la qualité de la coopération entre régions, départements et villes : ce constat est partagé par tous. Il nous semble que la meilleure façon de l’organiser est de la structurer autour d’un axe renforcé intercommunalités-régions.
Cela ne revient pas à nier le rôle des départements, mais cela impose de ne plus le considérer comme une donnée institutionnelle invariable, faisant abstraction des spécificités locales. L’enjeu de la future réforme sera de proposer à chaque territoire d’adopter les synergies institutionnelles lui permettant de répondre au mieux à ses enjeux spécifiques, ce qui peut passer par une conception à géométrie variable de l’action départementale.
La fonction naturelle des départements est une fonction de solidarité territoriale. Sa mission prioritaire est de veiller au maintien d’un certain niveau de service public partout où l’armature urbaine ne s’avère pas suffisante pour le garantir. Inversement, la nécessité de renforcer les grandes métropoles françaises pour leur permettre d’exister sur la scène européenne doit conduire à renforcer leur statut, en ayant notamment la possibilité de se doter, par transfert partiel ou total, des compétences départementales sur leur périmètre.
Marylise Lebranchu a annoncé, dans un entretien aux Échos, que “les collectivités qui le souhaiteront expérimenteront […] leurs propres transferts”. Cela ne risque-t-il pas de rendre un peu moins clair la répartition des compétences entre les différents échelons de l’action territoriale ?
Une nouvelle fois, laissons à nos territoires le soin de s’organiser selon les besoins de leurs populations, sans que leur soient imposés des cadres institutionnels trop rigides. Dans cette perspective, le droit à l’expérimentation est un outil majeur, à la condition toutefois que les expériences locales ne soient pas généralisables, indistinctement, à tous les territoires. Quant à la question de la clarification des compétences, je fais partie de ceux pour qui il faut admettre la complexité et, partant, la spécificité de chaque territoire et abandonner définitivement la vision, largement illusoire, d’un “jardin à la française” institutionnel.
La ministre a également déclaré que “pour 2013, les dotations ont été sanctuarisées afin de préserver l’investissement public et la croissance liée” mais que “les collectivités seront associées à l’effort de redressement des comptes publics pour les années 2014 et 2015”. Ne faudrait-il pas sanctuariser les dotations pendant toute la durée du quinquennat sans quoi on risque de voir l’investissement local se tarir ?
Le PLF 2013 a tranché : les dotations diminueront dès l’année 2014. La participation des collectivités à l’effort de redressement des comptes publics n’est pas à remettre en cause. En revanche, il faut aussi bien garder à l’esprit le fait que les collectivités sont, de loin, les premiers investisseurs publics nationaux avec près de trois quarts des investissements publics. Si on cumule une fiscalité maintenant déconnectée des réalités économiques, des dotations qui fondent, une péréquation qui pénalise nos quartiers fragiles et un accès au crédit encadré en absence d’agence de financement, on prend le risque d’étouffer les territoires qui tirent la croissance. Il faut favoriser tout ce qui permet à l’efficience locale de se déployer : encadrer l’incontinence normative qui nous impute chaque année de nouvelles charges non compensées, favoriser les économies d’échelle, permettre la coordination des politiques publiques, libérer les capacités à innover : bref, faire confiance aux élus locaux !
Gérard Collomb en quelques dates…
•2012 : Soutien de François Hollande, il est chargé des relations avec les entreprises et les grandes villes dans son équipe de campagne.
•2008 : Réélu maire de Lyon dès le premier tour
•2008 : Élu à la tête de l’Association des communautés urbaines de France
•2007 : Soutient Ségolène Royal lors de l’élection présidentielle
•2004 : Réélu sénateur du Rhône
•2001 : Élu maire et président du Grand Lyon
•1999 : Élu sénateur du Rhône
•1995 : Chef de l’opposition à Michel Noir, il est élu maire du IXe arrondissement et intègre l’exécutif du Grand Lyon présidé par Raymond Barre.
•1992 : Participe à la création de la Fondation Jean-Jaurès, dont il devient secrétaire général
•1977 : Entre au conseil municipal de Lyon
•1970 : Professeur agrégé de lettres classiques
•20 juin 1947 : Naissance à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire).