Succédant à Claude Bartolone à la tête du Palais Bourbon, François de Rugy préside désormais une assemblée de jeunes députés dont il veut moderniser les méthodes de travail.
A peine élu, vous avez dû faire face à une mini-crise au moment des élections au bureau puis vous avez été appelé à présider le Congrès. Est-ce que vous n’étiez pas en droit de rêver à une prise de fonction un peu plus tranquille ?
On ne sollicite pas des responsabilités pour être « tranquille ». Cette nouvelle législature est à l’image de l’année écoulée : elle acte les bouleversements profonds de notre vie politique et marque une nouvelle dynamique pour notre pays.
L’épisode que nous avons connu au moment de l’élection au bureau est regrettable. Cette Assemblée est confrontée à une situation nouvelle : d’un côté, une majorité profondément renouvelée et de l’autre, des oppositions éclatées en cinq groupes, ce qui est totalement inédit. Il faut s’adapter à ce nouveau schéma. En tant que président de l’Assemblée nationale, je souhaite que les groupes d’opposition soient respectés dans leurs droits et dans leur poids numérique.
En ce qui concerne le Congrès, c’était pour moi un moment fort de ce début de législature et l’opportunité pour le président de la République de rappeler, devant la représentation nationale ; la responsabilité qui nous incombe, collectivement, de mettre en œuvre les réformes nécessaires pour le pays et les Français. A ce titre, chacun est dans son rôle : le président de la République fixe un cap et la philosophie de l’action, le gouvernement met en œuvre et dirige l’administration, la représentation nationale débat et décide des lois et des budgets.
La priorité de ce quinquennat, c’est de porter les réformes nécessaires à la transformation de notre pays.
La discipline du groupe majoritaire lors de l’installation de la nouvelle assemblée a pu donner l’impression à certains commentateurs que le quinquennat d’Emmanuel Macron serait plus « présidentialiste » que « parlementariste ». Est-ce un débat que vous comprenez ou le considérez-vous comme basé sur un jugement hâtif ?
On disait cela au début de la session extraordinaire, on a dit l’inverse à la fin ! Franchement, c’est mal connaître le travail et l’engagement quotidien des députés que de porter un tel jugement. La priorité de ce quinquennat, c’est de porter les réformes nécessaires à la transformation de notre pays. Les députés de la majorité ont été élus sur la base d’un projet, celui porté par Emmanuel Macron. Le groupe majoritaire s’est rapidement mis au travail dès le début de la législature. Les députés du groupe étudient, amendent, interviennent dans les débats, en commissions comme dans l’hémicycle. Et ce ne sont pas les seuls ! Je vois des députés de tous bords intervenir et participer au travail parlementaire. Nous avons donc une Assemblée vivante, qui débat, qui propose et qui fait des choix.
La « conférence des présidents » va réunir plus de groupes que par le passé. Est-ce que cela ne va pas conduire à une programmation plus stricte du travail parlementaire et du déroulement des séances de questions au gouvernement ?
En tant que président de l’Assemblée nationale, je veillerai au respect des règles tout en gardant pour objectif l’efficacité du travail parlementaire. Je ne suis pas pour faire prévaloir les intérêts d’un parti mais pour permettre l’expression de la volonté générale. A ce titre, je serai le garant des débats au sein de l’Assemblée nationale et veillerai à ce que les oppositions soient respectées, qu’elles aient l’espace d’expression qui leur est dû. De fait, les députés d’opposition ont utilisé beaucoup plus de temps de parole que ceux de la majorité et c’est logique ! A l’heure actuelle, la procédure parlementaire donne une prime trop importante à l’obstruction. Moi, je revendique l’efficacité ; l’Assemblée nationale doit être plus efficace.
Quel moment (au début, au milieu ou à la fin), pendant la législature qui commence, vous semble le plus opportun pour entreprendre la réforme du Parlement envisagée au cours de la campagne présidentielle et susceptible de porter sur le nombre d’élus, l’instillation d’une dose de proportionnelle, la modification de certaines procédures etc… ?
Ces réformes doivent être menées au début du mandat. Il y a un élan fort, une vraie envie de changer les choses. Nous devons profiter de ce moment pour engager des réformes trop longtemps repoussées. Les Français nous attendent au tournant et sauront saluer cette prise de responsabilité. La loi pour le rétablissement de la confiance dans la vie publique constitue une étape importante, et je tiens à saluer ici le travail engagé par la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et l’investissement des parlementaires. Il faut toutefois aller plus loin. C’est pour cette raison que j’ai engagé les rendez-vous de la réforme pour une Assemblée nouvelle, une démarche ouverte aux députés de toutes tendances.
Notre Assemblée marque un renouvellement inédit des visages.
L’initiative de la réforme des institutions parlementaires doit-elle émaner selon vous des rangs des députés et des sénateurs ou, au contraire, être directement inspirée par le chef de l’Etat ?
La question n’est pas de savoir de qui émane la réforme mais plutôt comment elle est préparée, construite et appliquée. Le Président, le gouvernement et les groupes de la majorité ont cette volonté parce que c’est la volonté des Français. Je ferai tout pour que cela aboutisse et pour bâtir des majorités plus larges sur certains sujets.
Notre Assemblée marque un renouvellement inédit des visages. Il nous faut désormais concrétiser la promesse d’un renouvellement des pratiques. Les députés ont envie de faire bouger les lignes et de faire avancer les débats. Il y a un réel dynamisme et une volonté de changement profond qui émanent de tous les bords politiques. Il existe une attente forte des Français dans ce domaine. Nous devons y répondre en menant des réformes rapidement. Le président de la République a d’ailleurs rappelé, lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès, que ce projet prendrait forme dans l’année qui vient. Ce cap étant donné, la représentation nationale doit prendre toute sa part dans ce projet.
En ce qui concerne la réforme de l’Assemblée nationale, il y a un vrai sujet autour de la transparence. Beaucoup a déjà été fait mais ce n’est pas suffisant, il faut aller plus loin. Nous devons sortir de cette culture de l’opacité et du secret qui nourrit la défiance et l’antiparlementarisme. A ce titre, il est parfaitement justifié de rendre plus lisible l’utilisation des indemnités représentatives de frais de mandat en permettant le contrôle et la traçabilité des dépenses.
En ce qui concerne la réforme de l’Assemblée nationale, il y a un vrai sujet autour de la transparence.
La « diplomatie parlementaire » constitue l’une de vos prérogatives importantes, bien qu’assez méconnue de nos concitoyens. Pensez-vous établir des relations étroites avec vos homologues présidents d’Assemblées en Europe et dans le monde, notamment autour des thématiques qui vous sont chères, comme le changement climatique ?
Cette prérogative est en effet peu connue de nos concitoyens. Il s’agit pourtant d’une dimension essentielle et j’y consacre déjà une part non négligeable de mes activités, en tant que président de l’Assemblée nationale. D’ailleurs, je participerai ces prochains jours au G7 des parlements, en Italie. Et j’attacherai d’autant plus d’importance à cette dimension qu’il me paraît nécessaire, dans le processus des réformes engagées pour une nouvelle Assemblée nationale, de s’inspirer des bonnes pratiques étrangères auprès des parlements en pointe sur certains sujets : la Suède, sur les questions de transparence, l’Estonie dans le domaine du numérique, le Parlement européen dans la gestion des groupes d’intérêts, etc.
Dans le même ordre d’idées, pensez-vous utiliser les installations de l’hôtel de Lassay pour des colloques scientifiques ou l’accueil de personnalités indépendantes ?
Absolument, nous devons parler des changements de notre monde tel que le réchauffement climatique, mais ce n’est pas le seul. La révolution numérique, la lutte contre la menace terroriste, les évolutions du marché du travail, le lien entre la santé et l’environnement, l’éducation sont, parmi tant d’autres sujets, des bouleversements majeurs en France et dans le monde. Je crois que c’est aussi le sens de l’Histoire de voir la représentation nationale en prise avec le monde d’aujourd’hui, ouverte sur l’extérieur. Je suis de ceux qui pensent que l’on prépare mieux l’avenir en disposant des clés de compréhension du présent. En ce sens, je suis favorable à ce que l’Assemblée soit un lieu ouvert aux interventions de personnalités indépendantes, aux colloques, aux conférences et aux débats.
Copyright de l’image à la Une : Bruno Perroud