Le temps est révolu où les grands-mères cuisinaient les restes et forçaient les enfants à finir leurs assiettes. Si la majorité des foyers n’a aucune conscience de la quantité de denrées qu’ils jettent, cette tendance à la hausse devient d’autant plus inquiétante que les besoins en nourriture risquent de doubler d’ici 2050, selon une étude de la FAO (Food and Agriculture Organization) des Nations unies. Alors que près de 20 % de la consommation française finit dans les ordures, la situation n’est guère meilleure chez nos voisins européens et notamment en Belgique. Dans la région de Bruxelles, le gaspillage alimentaire représente plus de 12 % du poids de la poubelle (dont 48 % de produits entamés), selon une étude européenne menée par RDC Environnement en 2004. Un gâchis inévitable ?
Si un tiers du gaspillage se fait en phase de consommation, l’ensemble de la chaîne de production n’est pas en reste. À commencer par la source même de la fabrication, où les produits sont triés sur des critères esthétiques : luisants, fermes et rebondis, ils disparaissent des rayons aussitôt que le moindre défaut apparaît. Rien d’étonnant puisque l’œil du consommateur, habitué à voir des produits aussi frais que parfaits, ne choisira pas volontairement une pomme légèrement abîmée sous prétexte qu’elle sera bientôt périmée. Il en va de même pour le secteur de la pêche, où les poissons et crustacés ne correspondant pas au bon calibre n’atteignent jamais les étalages des supermarchés. On les dit relâchés dans la mer : certes, mais dans quel état ? Agonisante, la majorité d’entre eux sert de repas aux mouettes.
Négligence, mauvaise gestion des réserves ou encore achats compulsifs, si le manque d’information est la principale raison du gaspillage individuel, le problème est tout autre du côté des structures publiques. Avec un tiers du plateau qui part à la poubelle des cantines scolaires, les portions sont encore moins adaptées aux patients dans le domaine hospitalier. Margot, animatrice à la mairie de Paris, s’indigne : “Quand je vois les quantités de nourriture jetée chaque jour dans les écoles, j’ai mal au cœur pour ceux qui dépendent de l’aide alimentaire !”.
Sans parler des supermarchés. En cause, la “date limite de consommation” : de peur d’être poursuivies pour intoxication, les grandes surfaces retirent certains produits de la vente plusieurs jours avant même qu’ils atteignent la DLC. Une attitude qui serait compréhensible si seulement les invendus n’étaient pas souvent enduits de substances chimiques et rendus inconsommables autant pour les employés que pour les personnes dans le besoin.
“Un système perverti par la surconsommation”
Face à ce manque d’éthique et aux conséquences environnementales entrainées par le gaspillage, des initiatives locales et citoyennes commencent à émerger. Pendant que les freeganes vivent par choix de la récupération d’invendus, certaines associations “anti-gaspi” redistribuent régulièrement des denrées aux banques alimentaires. Avec 66 % de déductions d’impôts, certaines grandes surfaces en France rentrent également dans une démarche de don. D’autres mesures quant à elles valorisent les circuits courts, notamment à Paris où le marché locavore prolifère de jour en jour. Ce mouvement prône la consommation d’une nourriture produite dans un rayon de 100 à 250 kilomètres autour de son domicile, favorisant à la fois les producteurs régionaux et limitant ainsi les pertes aux phases de transport et transformation. La fédération France Nature Environnement quant à elle a mis en place un véritable dispositif de sensibilisation aux enjeux du gaspillage. “Via des opérations de coaching, nos associations affiliées accompagnent familles et restaurants pendant plusieurs mois pour changer leurs habitudes et mettre en application d’autres solutions, contribuant ainsi à la réduction des pertes alimentaires“, explique Loïc Gerland, chargé de mission à la prévention des déchets à la FNE.
Si la responsabilisation citoyenne ne fait aujourd’hui aucun doute, c’est l’ensemble d’un système perverti par la surconsommation (dont le gaspillage incite à la croissance) qu’il faudrait reconstruire. “Toute perte alimentaire entraîne une perte d’énergie en amont comme en aval, à la production comme au traitement des déchets”, affirme Loïc Gerland. Deux pour le prix d’un. La prochaine fois, ne vaudrait-il pas mieux revoir ses priorités au lieu de se jeter sur la promotion en cours ?