Draps contaminés, infusions aux métaux lourds, biscottes cancérigènes, vêtements neurotoxiques… Ce cocktail explosif n’est autre que le fruit des efforts de lobbies industriels qui recomposent notre quotidien à leur avantage.
À la lecture de votre livre, il semblerait que les lobbies aient réussi à s’infiltrer dans la moindre parcelle de notre existence… Ce discours n’est-il pas un peu alarmiste ?
Bien au contraire. Si j’avais dû rendre compte de tous les lobbies industriels présents sous notre quotidien, cette étude ressemblerait à un épais feuilleté, car derrière chaque minute de notre journée se cachent les innombrables concessions réglementaires et législatives qu’ils ont obtenues au fil des décennies et qui se sont sédimentées. Ce constat est pour moi-même une découverte conceptuelle. Même après plus de 30 années d’enquête, l’ampleur de leur influence m’échappait ! J’ai dû faire des choix pour ne pas être trop anxiogène pour le lecteur et gagner en clarté.
Comment les lobbies sont-ils parvenus à prendre une telle place à l’insu de la population ?
Pour prendre l’exemple de la santé, les Français payent au quotidien des décennies de paralysies de la prévention induites par le lobbying. Des milliers de substances toxiques toujours très mal encadrées nous environnent, fruits de multiples effets d’aubaines économiques sans garde-fous efficaces, y compris dans le domaine du médicament. Les agences de lobbying instrumentalisent de nombreux experts des agences de sécurité et continuent de monter des comités aux allures institutionnelles pour les rémunérer et s’arroger les décisions, comme ce fût le cas dans l’affaire de l’amiante. Je cite des dizaines de dossiers toujours en cours que les ministères ne font, en fait, que leur déléguer.
Quel rôle les élus ont-ils à jouer face à de tels enjeux ?
Un rôle fondamental, par exemple celui de mettre fin au système consistant à déléguer la gestion du risque aux structures d’expertise qui se chargent d’évaluer les produits. Une confusion des genres qui a déjà mené à de nombreux scandales sanitaires et qui perdure. Autres exemples : dissuader les lobbies qui continuent à rémunérer des attachées parlementaires pour gérer certains dossiers sensibles en leur faveur, et interdire en priorité tout conflit d’intérêt en matière d’évaluation et de gestion des risques.
L’Assemblée nationale a pourtant pris des mesures pour encadrer l’influence des groupes d’intérêts : s’agit-il de vœux pieux ?
Le règlement pris par le bureau de l’Assemblée nationale et le Sénat concernent uniquement les interventions des lobbyistes au sein de leurs bâtiments, alors qu’une loi devrait couvrir l’ensemble de leurs opérations. Même le système d’enregistrement est transgressé par la grande majorité des lobbies. Ce dispositif « rassurant » ne fait donc qu’institutionnaliser leur présence au Parlement. Il faut voter une loi au moins égale au « Lobbying Act » des Américains limitant l’activité de ces professionnels de l’influence, tant au niveau national qu’européen, aussi bien à l’extérieur que dans les bâtiments parlementaires.
Si certains pays tentent de renverser la tendance, n’est-il pas illusoire d’exiger la transparence des lobbies ?
C’est réaliste si l’obligation de transparence s’accompagne d’une limitation des activités d’influence des lobbyistes. Le législateur peut y réussir s’il le veut vraiment. D’ailleurs des élus français défendent cet objectif avec opiniâtreté comme Marie Christine Blandin (EELV), Catherine Lemorton (PS) et une bonne dizaine d’autres, de même qu’au parlement européen. Le projet de loi que prépare le gouvernement sur la corruption et la transparence bancaire devrait y contribuer.
24h sous influences
Roger Lenglet
François Bourin Éditeur
270 pages
20 €