Le 20 juin avait lieu au Sénat un colloque intitulé « Co-construire la politique avec les citoyens pour améliorer la démocratie en Europe ». Organisé conjointement par l’ONG Parlement & Citoyens et le programme européen #EUCROWD, cet évènement fournissait l’occasion de mettre en avant les pratiques de crowdsourcing et de participation citoyenne.
Comment concilier démocraties représentative et participative ? Telle est sans doute la question à laquelle tente de répondre l’association Parlement & Citoyens, fondée en 2013. Sous la présidence de Cyril Lage, son fondateur, elle permet aux citoyens de co-écrire la loi en toute transparence avec les parlementaires grâce à une plateforme numérique. L’organisation poursuit trois objectifs : renforcer l’efficacité des politiques publiques, la légitimité des lois produites et la confiance des citoyens envers les décideurs. Jouissant d’une base de près de 35 000 citoyens et de 30 députés et sénateurs, Parlement & Citoyens est totalement indépendant, grâce notamment à un conseil d’administration multipartite, comprenant, entre autres, les sénateurs Henri Cabanel et Joël Labbé, l’ex députée Nathalie Kosciusko-Morizet, le chiraco-macroniste Jean-Paul Delevoye, des collectivités locales, ou encore des entreprises et syndicats. Tel était aussi le but de la journée organisée conjointement par Parlement & Citoyens et le programme européen #EUCROWD (pour European Citizens Crowdsourcing), qui vise à développer les aptitudes de la Commission européenne à utiliser des canaux innovants de participation citoyenne dans l’espace public et politique. Passade en revue des différentes initiatives qui permettent aujourd’hui de rapprocher démocraties représentative et participative.
Comme tout ce qui se veut moderne et dynamique, ce champ politique est truffé de termes anglais. Le plus important est sans doute le crowdsourcing, qui désigne tout simplement une production participative. Un élément clé pour faciliter le débat démocratique et mieux impliquer les citoyens dans la fabrique de la loi. Il fait partie du schéma de participation en ligne, ou « e-democratie », prôné par les tenants de la co-construction. Cette dernière consiste en une utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour soutenir la démocratie. Ainsi, une nouvelle relation s’instaure entre le gouvernant et le citoyen. La transparence du premier vers le second est accrue, et en retour le citoyen prend part à une participation en ligne, qui lui permet d’avoir directement son mot à dire dans la fabrique de la loi. Toutefois, cette dernière n’est nullement appelée à supplanter la démocratie représentative ; au contraire, elle doit la renforcer en la complétant. On pourrait penser qu’aujourd’hui ces modes de réflexion seraient l’apanage de certains idéalistes. Que nenni. Des lois récemment votées au Parlement ont été co-construites par les élus et les citoyens. Et la dynamique est ascendante. Joël Labbé, sénateur du Morbihan, fait partie des pionniers. Dès 2013, il utilise la plateforme fournie par Parlement & Citoyens pour permettre une rédaction collaborative de sa proposition de loi encadrant l’usage des pesticides dans les domaines non agricoles. Ainsi, plus de 3 000 contributions, d’experts ou de simples citoyens, ont été recensées à ce sujet en vue d’une plus grande vigilance contre les produits nocifs. Alors qu’il était taxé d’ « utopiste » et de « rêveur » par certains de ses collègues, Joël Labbé a finalement réussi à faire adopter sa proposition de loi, avec 98% des suffrages exprimés au Sénat, et votée sans modification par l’Assemblée Nationale. Cette grande réussite trouve sans doute une part d’explication dans sa construction collaborative. Le récent film Des clics de conscience, retraçant une expérience similaire d’initiatives citoyennes portées par Labbé au Sénat, montre bien cette articulation trouvée entre démocratie représentative, avec la discussion et le vote de textes par les parlementaires, et démocratie directe, ou participative, avec l’avis et les idées des citoyens. Ces exemples sont l’illustration de la complémentarité entre les deux modes d’expression démocratique : l’un ne devrait pas aller sans l’autre.
THC comme… Territoire Hautement Citoyen !
Mais la co-construction, ou le crowdsourcing, ne s’applique pas qu’à l’élaboration des lois. Une multitude d’autres domaines sont touchés, avec souvent une grande satisfaction de tous les acteurs concernés. La diversité des entités représentées au conseil d’administration de Parlement & Citoyens témoigne des usages multiples du crowdsourcing. Ainsi, la ville de Mulhouse, représentée par l’adjointe au maire Cécile Sornin, entreprend depuis plusieurs années déjà d’impliquer directement les citoyens. Les conseils de quartiers ont par exemple été remplacés par des « conseils participatifs », sans président, dans lesquels les habitants peuvent délibérer librement. « Le temps où le maire arrivait au conseil de quartier, expliquait ce qu’il avait décidé aux habitants, qui n’avaient pas leur mot à dire, est révolu. », explique l’élue. De même, une partie du budget de la ville sera géré sur un modèle de démocratie directe. Mulhouse, ville pionnière en la matière, est ainsi devenue un Territoire Hautement Citoyen (THC). Au-delà des collectivités, des associations ou syndicats se mettent aussi au participatif. Il en est ainsi de l’Association des paralysés de France, qui a par exemple ouvert la modification de ses statuts au public lors d’un récent congrès. Dans le même esprit, la CFDT, fraîchement devenue premier syndicat du secteur privé en France, est maintenant une habituée des plateformes numériques de démocratie directe. Thierry Cadart, son secrétaire national, explique ainsi qu’une consultation a été mise en place, demandant directement l’avis des adhérents sur la centrale, sans passer par tous les intermédiaires. Et à l’entendre, l’expérience fut réussie.
Le risque, avec l’abondance nouvelle de crowdsourcing et d’e-participation, est qu’une partie seulement de la population soit touchée. En effet, tout cela repose sur le numérique et internet. Ainsi, ces expérience ne profiteront-elles pas uniquement aux couches riches et politisées de la population, excluant de fait encore un peu plus les individus à l’écart du numérique et peu enclins à chercher par eux-mêmes à s’impliquer ? Pour Henri Cabanel, membre du bureau de Parlement & Citoyens et président de la récente mission d’information sur la démocratie participative au Sénat, le risque est effectivement que les utilisateurs de plateformes de démocratie directe et de co-construction soient « toujours les mêmes » (les TLM). Selon lui, le numérique est et doit rester un outil parmi d’autres.
Avec le renouvellement des habitudes politiques, autant que des visages, prôné par le nouveau Président de la République, qu’en sera-t-il de ces méthodes novatrices de démocratie directe et participative ? Pendant la campagne des élections législatives, 250 candidats, dont 25 ont été élus, se sont engagés à co-construire la loi avec les citoyens auprès de Parlement & Citoyens. On devrait savoir bientôt si tenir les promesses de campagne fait aussi partie du renouvellement.
Image à la une : © Sami Cheikh Moussa / PlacetoB.