Après le long débat au sujet du « mariage pour tous », le président de l’Assemblée nationale répond aux questions du Courrier du Parlement. Il rappelle que son rôle est de protéger l’opposition et de permettre à chacun de « faire entendre sa voix ». Dans sa ligne de mire : les « comités Théodule » qui « coûtent cher au pays» et « marchent sur les plates-bandes » des élus.
Vous avez prononcé un important discours devant les députés du Bundestag à l’occasion du 50e anniversaire du traité d’amitié franco-allemand. Peut-on savoir quels ont été vos sentiments personnels en cette circonstance solennelle ?
C’était un moment fort. De ces moments où l’on se sent face à l’Histoire – ce n’est pas rien de s’exprimer au Bundestag devant un millier de députés, la chancelière fédérale allemande et le président de la République française pour revenir sur cinquante ans de notre vie commune. Et dans le même temps, j’ai eu à cœur de ne pas laisser la solennité du moment écraser le message politique que je souhaitais transmettre : l’axe franco-allemand doit être le moteur, non pas d’une Union procédurale et comptable figée dans le déclin, mais d’une Europe armée pour le retour de la croissance.
Au Parlement, l’année 2013 a commencé de façon étrange. Une grande gravité au moment de l’engagement de l’armée française au Mali puis de très vifs affrontements au moment de la discussion du projet de «Mariage pour tous». Diriez-vous que ces ruptures de ton et de rythme font partie de la vie parlementaire ?
C’est justement la force de nos institutions républicaines et de nos pratiques démocratiques. La France sait renouer avec la cohésion nationale lorsque les circonstances l’exigent. C’est ce à quoi nous avons assisté alors que nos troupes répondaient à l’appel du Mali. Mais la cohésion nationale, ce n’est pas l’alignement politique, et le débat démocratique doit jouer son rôle lorsque deux visions de la France s’affrontent. Ce fut le cas sur la question du mariage pour tous, et j’ai voulu déployer toute mon énergie pour réaliser la promesse faite le jour de mon investiture : réinstaller l’Assemblée nationale au cœur de la France, en y faisant vivre le débat et en protégeant l’opposition. Mille autres réformes rythmeront la législature. Chacun pourra faire entendre sa voix avant que la démocratie parlementaire ne tranche. C’est mon rôle.
Lors de vos vœux aux journalistes, vous avez affirmé que « jamais sous la Ve République n’ont été entrepris de tels efforts » pour qui est de l’amélioration et de la transparence de la vie démocratique. Pouvez-nous nous rappeler les principaux changements survenus à l’Assemblée nationale ?
Le 25 septembre dernier, je présentais ma feuille de route. Trois mois et demi plus tard, tous les engagements pris devant les Français ont été tenus. J’en cite quatre. L’indemnité représentative de frais de mandat a été réduite de 10 %. Le voile a été levé sur la réserve parlementaire : pour la première fois, un député de la majorité peut bénéficier d’autant de crédits qu’un député de l’opposition. La Cour des comptes est désormais la bienvenue à l’Assemblée nationale grâce à la mise en place du système de certification de nos comptes. Le budget de l’Assemblée est gelé pour tout le temps de mon mandat : pendant 5 ans, ce sera « zéro euro de plus » à verser par le contribuable au budget de la représentation nationale. Chaque dépense nouvelle sera désormais gagée sur une économie supplémentaire. Je suis fier d’avoir dégagé un consensus politique autour de ces réformes.
Il vous arrive de vous insurger contre le pessimisme ou le « déclinisme ». Une république plus « parlementaire » pourrait-elle apporter plus de confiance dans les valeurs de la démocratie ?
À l’évidence. Le parlement, c’est le cœur battant de la démocratie. Et je suis convaincu que plus nous renforcerons son rôle, plus les réformes seront rendues performantes. C’est pour cela que je rappelle à l’ordre régulièrement le gouvernement : il faut donner du temps aux parlementaires et en finir avec les textes à examiner en urgence. C’est pour cela aussi que je suis parti en guerre contre les « comités Théodule », ces centaines de commissions qui coûtent cher au pays et marchent sur les plates-bandes du parlement. Je réclame la suppression de 30 % de ces comités pour que leur travail revienne à l’Assemblée qui doit redevenir une véritable « ruche ».
Bien que la majorité sénatoriale ait « basculé » à gauche en octobre 2011, la chambre haute s’est signalée à plusieurs reprises par des votes d’opposition aux projets du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. S’agit-il du fonctionnement normal des institutions ou pensez-vous que des efforts de concertation soient nécessaires entre les majorités des deux assemblées ?
Chaque assemblée a son histoire et sa vérité, et je n’ai pas vocation à juger le fonctionnement du Sénat. Ce que je peux dire en revanche, c’est que toute initiative visant à fragiliser l’action du gouvernement est regrettable. Dans ce climat de crise, la division est un poison. À côté de cela, il faut entendre ce qui est dit par nos partenaires, sauf à vouloir gouverner reclus. Il est indispensable de réaffirmer sans cesse la ligne politique qui sous-tend notre action et dans laquelle chacun peut, avec sa propre identité, se sentir à l’aise : la reconstruction économique au service du progrès social. Donnons sa chance au dialogue dans la majorité. C’est ce que je m’efforce de faire à l’Assemblée.
Les relations internationales constituent une part importante de l’activité liée à votre fonction. Comptez-vous intensifier celle-ci au cours des mois à venir ? Le président de la République italienne a pu s’exprimer récemment dans l’hémicycle. D’autres invités de marque sont-ils attendus cette année dans l’hémicycle ?
Je tiens surtout à donner du sens à mon activité internationale. Je me suis assigné deux priorités. D’abord, la promotion de l’axe franco-allemand. Il n’y a pas de destin européen sans une alliance forte entre nos deux pays. Surtout pas à la manière d’un directoire de l’Europe, mais plutôt comme une alliance ouverte à tous, qui n’écrase pas, qui entraîne. Ensuite, l’ingénierie démocratique. L’Assemblée nationale, parce qu’elle est le cœur battant de la démocratie, a un rôle à jouer dans le monde. Elle doit se tenir aux côtés des États qui le demandent pour transmettre son savoir-faire démocratique. Je pense notamment aux jeunes démocraties de l’Est ou aux régimes nés du printemps arabe.
Pensez-vous que le travail parlementaire soit susceptible de rendre plus consensuelles les diverses dispositions visant à transformer le visage de la démocratie territoriale (cumul des mandats, organisation des intercommunalités, calendrier électoral, financement des collectivités, etc.) ?
Bien sûr. Je crois en la science législative des élus du peuple. Et je crois profondément en la vertu du « chacun à sa place ». La technocratisation de la vie politique est un péril face auquel je suis toujours très vigilant… C’est aux élus de la nation, parce qu’ils sont issus du suffrage universel et placés sous son contrôle, d’orienter, de décider, de trancher. Sur les sujets que vous évoquez, le travail parlementaire est la garantie que les réformes seront menées pas simplement pour « rationaliser » le paysage administratif mais pour renforcer l’efficacité de notre système démocratique.