Selon vous, la Chine n’effectue pas, contrairement au discours tenu, une révolution mais une reconquête ?
Jusqu’au XIXe siècle – avant le démantèlement de l’empire Ming – la Chine était la première puissance économique du monde. Elle a depuis connu une éclipse stratégique avec le démantèlement de la dynastie et le communisme. Aujourd’hui, elle reprend la place qu’elle mérite et qui lui revient. Depuis une trentaine d’années, le pays se transforme et réalise une triple révolution, industrielle, technologique et informatique.
Quelle est sa stratégie de transformation ?
Le jeu d’échec est très représentatif de la conception occidentale du rapport de force : il y a deux camps qui s’opposent dans un affrontement frontal, avec à la fin un vaincu et un vainqueur. Le jeu de go chinois est différent. Il s’agit, par le placement successif de pions, d’occuper un territoire et d’accroitre son potentiel, sans qu’il n’y ait de logique de gagnant-perdant. Cette image illustre le fait que les Chinois ne sont pas limités par une durée de temps. Elle explique aussi la nature de leur régime. Leur horizon économique est 2049, date du centenaire de la République populaire de Chine (RPC). Concrètement, l’emploi de l’instrument militaire n’est considéré qu’en ultime recours. On lui préfère les leviers économiques, diplomatiques et culturels. À la manière du jeu de go, l’objectif est de s’infiltrer et d’utiliser tous les moyens pour conduire le partenaire à des situations qui leur soient favorables. Leur stratégie en Afrique, où ils puisent des richesses minières, en est une illustration.
En 2010, la RPC est devenue la deuxième puissance économique et en 2020, elle pourrait dépasser les États-Unis. Avec quelles ambitions ?
Le premier objectif est la survie du régime. Les dirigeants ont encore les souvenirs de l’effondrement de l’Empire. Ils ont cherché tous les moyens pour restaurer leur grandeur. Il y a donc eu une expérience nationaliste et communiste, inspirée du Japon puis de la Russie. Évidemment, des liens existent entre l’ambition de survie du système et les aspects économiques. Pour se maintenir, les dirigeants ont besoin d’assurer la stabilité sociale, qui ne peut être maintenue que par la croissance. Il y a une sorte de fuite en avant pour rechercher les ressources énergétiques nécessaires. Parfois une logique de prédation est mise en place, comme en Afrique où les ressources naturelles sont exploitées sans considérations politiques vis à vis des régimes dictatoriaux. Il y a également une recherche de technologies de haut niveau. C’est la raison la Chine investit dans des entreprises de technologies, pour récupérer du savoir-faire. Une manière de s’affranchir de certaines étapes du développement économique pour atteindre d’emblée un niveau de recherche et de production de pointe.
Cette réussite suscite de l’admiration mais aussi beaucoup de craintes. Les Occidentaux ont-ils raison d’avoir peur ?
Selon moi, la peur est générée et alimentée à deux niveaux. Il y a des éléments objectifs liés aux turbulences suscitées par le comportement de prédation des ressources étrangères. Mais il y a également un certain degré d’instrumentalisation des craintes que peuvent susciter l’essor du pays, notamment aux États-Unis où il est marquant de voir à quel point la littérature est presque exclusivement à charge contre la RPC. Pendant les campagnes présidentielles, le lobby industriel de l’armement crie à la menace ou au cyber-espionnage. Pour une partie, ce sentiment de peur est créé à de fins de politique intérieure. En réalité, l’ancien président Hu Jintao n’a pas voulu développer la Chine comme les autres puissances dans le passé, en utilisant l’instrument militaire ou en colonisant. Il avait fait de l’émergence pacifique et du développement harmonieux sa marque de fabrique.
Quelle stratégie pour la Chine ?
François-Régis Dabas
Nuvis Phebe Éditions
167 pages
19 €