Brillant et passionnant, le livre de Jean-Louis Brunaux, primé au Sénat, retrace avec minutie l’histoire de la célèbre défaite de Vercingétorix. Voulue et facilitée par une partie du peuple, cette conquête a pourtant impliqué l’effondrement de la civilisation gauloise.
Pourquoi la défaite d’Alésia en -52, immense bataille qui signe la reddition de Vercingétorix, fait-elle partie des « Journées qui ont fait la France » ?
Plusieurs raisons expliquent ce poids historique. D’une part il s’agit probablement de la plus grande bataille de toute l’Antiquité, en termes d’enjeux et de participants (plus de 300 000 hommes). Ensuite, elle a été conçue, dès les semaines qui suivirent, comme un événement mémorable : Jules César qui alors rédigeait le récit de sa conquête, La Guerre des Gaules, a voulu qu’Alésia apparaisse à la fois comme le point d’orgue de toute cette guerre et son exploit militaire le plus remarquable. Un moyen pour lui de signifier aux Romains que la conquête était achevée avec cette bataille. Mais il existe encore une troisième raison. Les Français, au cours des siècles qui ont suivi, n’ont retenu de l’événement qu’un fait extraordinaire, la réunion, pour la première fois, de la majorité des peuples gaulois, dont on se plaisait à dire qu’ils avaient été vaincus parce qu’ils étaient divisés et indisciplinés. A Alésia, Vercingétorix apparaît comme un chef et il dispose d’une armée qui est celle de toute la Gaule. C’est pourquoi, on assiste aujourd’hui à ce paradoxe : une défaite est devenue un moment fondateur.
Comment expliquer que la bataille d’Alésia, qui devait être une grande victoire ait finalement été une cruelle défaite pour Vercingétorix ?
A l’époque, la Gaule était un ensemble d’une soixante de peuples en partie autonomes et disposant de leur propre administration (un sénat, une assemblée civique, des magistrats). Quelques institutions « supranationales » les réunissaient cependant à l’intérieur d’un pays qui était moins une nation qu’un espace politique commun : chaque année, l’assemblée de toute la Gaule désignait un peuple-patron, des assises judiciaires placées au-dessus de ces peuples et la possibilité d’une armée commune. Mais chaque population avait sa politique propre. Les Eduens entretenaient des accords très étroits avec Rome depuis plusieurs siècles, notamment dans le commerce, à tel point qu’ils étaient déjà sur la voie de la romanisation. Ce sont eux – avec la plupart des autres peuples du centre – qui ont permis à César d’entrer dans la Gaule et l’ont aidé à conquérir le pays. Malheureusement, pour des raisons de politique purement romaine et pour ses intérêts personnels, le proconsul a été amené à faire traîner sa conquête. Ses victoires en Gaule lui permettaient de se forger auprès des Romains une image de futur chef, en même temps qu’il rançonnait les peuples vaincus pour alimenter sa carrière politique. César aurait pu très rapidement déclarer la Gaule province romaine. Mais les peuples qui l’ont aidé, espérant tirer parti de leur collaboration, ont pris ombrage de ce retard : au bout de six années les Eduens, qui espéraient devenir la main administrative de Rome, sont entrés en rébellion et participent à une vaste coalition dirigée par Vercingétorix. Cependant les intérêts commerciaux des Éduens et Arvernes étaient si forts que beaucoup parmi eux n’allèrent à Alésia qu’en traînant les pieds. César qui disposait d’un efficace service renseignement parvint à retourner ces rebelles peu convaincus. Lors de la dernière bataille d’Alésia, plus de 100 000 Gaulois ne monteront pas au front. S’ils avaient combattus, il ne fait aucun doute que les Gaulois auraient gagné.
Vous montrez que Vercingétorix est l’un des premiers chefs ayant réussi à fédérer une partie du peuple gaulois contre César. Comment ?
Vercingétorix était un jeune homme, issu d’une famille de la plus grande noblesse. Il avait probablement été l’otage de César – comme tous les enfants des grandes familles nobles de toutes les cités conquises – et a vécu dans sa cour. Ces otages étaient traités comme des princes, initiés aux valeurs romaines et sont devenus les chantres de la romanisation. Mais Vercingétorix, comme beaucoup d’autres nobles, a été déçu par César et a entrepris de lutter contre lui. Dans cette lutte, il a pu bénéficier des institutions gauloises « supranationales » qui ont été évoquées précédemment. Et c’est ainsi qu’il a pu dans un premier temps se constituer une armée de 80 000 hommes, puis, au moment du siège d’Alésia par César, une seconde armée de secours, de 250 000 hommes. Il a même réussi à le faire en quatre ou cinq semaines, ce qui paraît un exploit qui aujourd’hui serait inconcevable. Mais, à coup sûr, le chef jouissait aussi de qualités personnelles (charisme, don oratoire, sens du commandement), que même son adversaire lui reconnaît.
La Gaule, avec le soutien d’une partie de son peuple, se remet dans les mains de Rome. Quelles en sont les conséquences ?
Afin de conquérir la Gaule, le très intelligent et cultivé César a procédé de façon très stratégique. Premièrement, il a bénéficié de beaucoup d’informations de la part des très influents Éduens et a également emporté dans ses bagages une œuvre extraordinaire, le livre XXIII des Histoires de Poseidonios d’Apamée, qui décrivait très pertinemment la Gaule. Grâce à ces connaissances, le proconsul est parvenu à conquérir tout le territoire, sauf l’actuel Pas-de-Calais jusqu’au Rhin, qui était à l’époque une immense marécage difficilement prenable.
L’arrivée des Romains en Gaule produit un véritable bouleversement. L’administration romaine, qui devient officielle, va faire disparaître presque totalement la civilisation gauloise qui repose, entre autres, sur une spiritualité développée à l’excès par les druides. L’écriture, les représentations graphiques, les édifices architecturaux n’existaient pas en Gaule. Les dieux eux-mêmes étaient invisibles, seuls les druides étaient censés les connaître. Cette civilisation ne résiste pas à la conception très pragmatique des Romains. L’administration romaine tout à coup fait circuler les images, les écrits, construit des temples où tous les hommes peuvent en personne faire des offrandes. Toute la culture gauloise, abreuvée d’une tradition peut-être millénaire, mais conservée dans la mémoire de quelques savants, disparaît en quelques décennies.
Les choses changent aussi en fonction de ce qui se passe alors à Rome, où César est en pleine guerre civile contre Pompée. Le proconsul a l’idée de prendre à ses côtés, à titre d’auxiliaires, les milliers de guerriers gaulois désœuvrés par sa victoire. Grâce à eux, il peut l’emporter sur son adversaire ; et d’anciens vaincus, peuvent participer au triomphe de César. De cette manière, les Gaulois poursuivent leur ancestrale tradition de mercenaires et sont encore plus facilement acquis aux valeurs romaines.
Retrouver des informations datant de -52 avant JC n’a pas dû être une tâche facile. Comment avez-vous travaillé ?
Archéologue de formation j’ai réalisé, pendant plus de trente ans, des fouilles en France et en Italie sur cette période. Les sources historiques m’ont permis de découvrir le premier sanctuaire gaulois, en mettant en parallèle les vestiges d’un enclos, comblés d’armes et d’os d’animaux. Il apparaissait ainsi que les Gaulois n’étaient pas des barbares exécutant des rites religieux en pleine nature comme on le croyait encore, mais qu’ils se comportaient comme des civilisés qui utilisent des lieux aménagés pour honorer leurs dieux. Il m’est ainsi apparu que pour comprendre les Gaulois, il fallait croiser les données archéologiques et les écrits des historiens et géographes.
Avec l’ouvrage Alésia, j’ai voulu montrer en quoi cette bataille est, à la fois l’aboutissement de la Gaule et un moment fondateur de l’histoire de France. En effet, depuis que les Français ont redécouvert le livre de César, La Guerre des Gaules, ils ne cessent de s’interroger sur les Gaulois et le mystère d’Alésia.