Plus de 160 groupes d’amitié existent actuellement au Palais-Bourbon. Si certains sont des coquilles vides, d’autres s’avèrent en revanche utiles pour l’exercice d’une diplomatie parlementaire le plus souvent en lien avec le Quai d’Orsay.
C’est un déplacement de parlementaires que le Quai d’Orsay a particulièrement observé. Début décembre dernier, une délégation de six députés se rend en Biélorussie, pays géré d’une main de fer par Alexandre Loukachenko. Avant que les députés s’envolent, le ministère des Affaires étrangères leur glisse une feuille de route : nouer un contact avec Minsk pour éviter que ce pays ne s’attache à la Russie plutôt qu’à l’Europe… comme l’Ukraine. Une délicate mission diplomatique que certains députés issus de divers groupes d’amitié ont déjà pratiquée ces dernières années. Quitte à parfois fermer les yeux sur certains régimes peu recommandables, les députés membres des groupes ont pour but de créer et d’entretenir des bonnes relations avec leurs homologues parlementaires à l’étranger. Des contacts personnels et moins formels qui permettent souvent de faire passer plus facilement des messages entre deux États.
Pour qu’une mission à l’étranger auprès du parlement homologue et que les réceptions de délégations parlementaires étrangères puissent avoir lieu, il faut au préalable l’accord du Bureau de l’Assemblée chargé des activités internationales. Les délégations reçues en France sont la plupart du temps logées à côté de l’Assemblée, à l’hôtel Pont- Royal, classé 5 étoiles. Après leur reconnaissance officielle en 1981, l’Assemblée s’est petit à petit dotée de règles pour mieux encadrer les groupes d’amitié et éviter certains abus, notamment les voyages trop fréquents. Désormais, pas plus de douze missions et réceptions par an au total, avec un échange par groupe au cours d’une même législature, sauf pour les pays limitrophes. Le nombre de participants est lui aussi restreint. Excepté les pays pauvres où l’Assemblée finance la totalité du déplacement, les frais de séjour sont dans la plupart des cas pris en charge par le pays hôte, quand l’Assemblée paie les frais de transports, et réciproquement. Il y malgré tout des exceptions. Ainsi, le GEVI France-Taïwan, où tout est pris en charge par l’île autonome, qui pratique une diplomatie pour le moins pragmatique. Les règles n’ont pas toujours été respectées. En 2009, par exemple, pas moins de 20 missions ont ainsi été effectuées, soit huit de plus que la règle en vigueur. Cette année-là, le budget consommé avait alors été de 592 815 euros. Le Bureau de l’Assemblée veille toutefois à ce que les députés ne consomment pas la totalité des 800 000 euros accordés aux groupes, somme inscrite au Budget depuis 2005, quand le Palais-Bourbon décida de doubler leurs crédits. De quoi mettre davantage de moyens au service d’un concept cher aux députés : la diplomatie parlementaire.
Quand l’Élysée s’intéresse aux groupes d’amitié
Les groupes d’amitié épousent dans leur grande majorité la ligne diplomatique officielle de l’exécutif et la diplomatie parlementaire se cale alors à la diplomatie gouvernementale. Sous couvert de leurs fonctions dans un groupe d’amitié, certains députés en profitent toutefois pour effectuer leurs propres missions sans en rendre compte à personne. Quand il s’agit de diplomatie sensible, l’Élysée ne se tient cependant jamais loin de son “domaine réservé”, contactant parfois un député pour lui demander de présider un groupe. Alors candidat à la présidentielle, François Hollande profite d’un déplacement à Chelles (Seine-et-Marne) peu avant le premier tour pour annoncer que le candidat du PS aux législatives, Eduardo Rihan-Cypel, deviendra président du groupe d’amitié France-Brésil si les socialistes l’emportent. Le nouveau député d’origine brésilienne, une fois élu, a bien été nommé à sa tête.
Les présidents de groupes d’amitié sont la plupart du temps nommés par le président du groupe politique parlementaire. Ces groupes politiques se sont au préalable répartis les différents groupes d’amitié proportionnellement à leur nombre de députés. La volonté de présider un groupe d’amitié peut s’expliquer de différentes façons : des relations affectives, des choix d’ordres privés, comme l’épouse d’un député originaire d’un pays, ou encore un non-choix : certains ne suscitent en effet que très peu d’intérêt, notamment les petits États d’Amérique centrale ou d’Afrique anglophone. Ce sont toutefois des objectifs politiques qui motivent le plus souvent les parlementaires. Nombreux sont les députés à s’inscrire en fonction du poids des communautés d’origine étrangères présentes sur leur circonscription. À ce jeu-là, les groupes d’amitié avec l’Algérie, la Turquie, les Comores ou encore l’Arménie sont particulièrement demandés. Pas moins de 11 députés des Bouches-du-Rhône sur les 16 que compte le département sont ainsi membres de France-Arménie, dont Valérie Boyer, la députée UMP à l’origine de la proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien fin 2011. À la veille des élections législatives, les députés n’oublient pas de rappeler leurs actions, notamment en matière de coopération décentralisée. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à solliciter la réserve parlementaire (un peu plus de trois millions d’euros) du Quai d’Orsay pour financer des projets dans des pays étrangers, notamment au Maroc. France-Maroc, l’un des groupes les plus courtisés avec pas moins de 168 membres lors de la précédente législature.
Une exception. La plupart d’entre eux comptent moins d’une trentaine de députés et n’ont que très peu d’activité, voire aucune. Car pour qu’un groupe d’amitié fonctionne, il faut non seulement que le président s’investisse, ce qui n’est pas toujours le cas faute de temps ou d’envie, mais aussi que le secrétaire administratif s’en occupe. L’absence d’activité n’est parfois pas à mettre sur le dos du président du groupe, notamment lorsque les relations diplomatiques sont compliquées, comme avec l’Angola. Dans ce cas, l’action diplomatique des parlementaires peut alors s’avérer utile. Lors de la dernière législature, une délégation s’est ainsi rendue à Cuba ou encore au Rwanda. Certains élus de droite comme de gauche se sont aussi déplacés ces dernières années en Syrie afin de reprendre des relations avec le régime syrien, avant les révolutions qui ont touché le monde arabe en 2011.
Un “manque de transparence” des groupes d’amitié ?
Sur les 160 groupes, une majorité d’entre eux n’effectuent aucun déplacement pendant une législature. De quoi susciter l’étonnement et l’agacement de certains présidents. Le 19 juin dernier, le député socialiste Razzy Hammadi, qui dirige France-Mali, pointait dans Le Nouvel Observateur “le manque de transparence” de ces groupes et se demandait pourquoi certains sont autorisés à voyager, quand d’autres sont condamnés à rester à Paris. Plusieurs députés expérimentés ont trouvé une parade : se renseigner sur le nombre de voyages effectués ces dernières législatures afin de savoir s’ils pourront partir au cours de la suivante. Parmi eux, l’ancien député UMP Loïc Bouvard. Élu pendant quarante ans, il a mis à profit ses deux dernières législatures pour multiplier les déplacements au titre des très nombreux groupes d’amitié dont il était membre et de ses autres fonctions internationales. Avec les groupes d’amitié, on retrouve le globe-trotter au Maroc et au Burkina Faso en 2011, aux Comores en 2010, au Portugal et en Azerbaïdjan en 2008. En 2005, il s’était aussi rendu en Croatie, au Brésil, en Corée du Sud, en Roumanie, en Azerbaïdjan, au Danemark ou encore en Albanie.
Les députés voyagent pourtant moins régulièrement que les sénateurs. Les règles sont différentes à la Haute Assemblée. D’abord, les sénateurs adhèrent aux groupes moyennant une cotisation. On compte 78 groupes interparlementaires d’amitié, 18 à vocation régionale et 60 concernant un pays spécifique. Cela permet au Sénat d’avoir des relations avec 184 États. Un réseau particulièrement étendu, une culture internationale et un regard sur l’extérieur : des atouts non négligeables pour les sénateurs. De quoi faire des jaloux…
161 groupes d’amitié et cinq Grandes commissions
Selon le site de l’Assemblée, les groupes d’amitié “regroupent les députés portant un intérêt particulier pour un pays étranger. Leur but premier est de tisser des liens entre parlementaires français et étrangers ; ils sont également des acteurs de la politique étrangère de la France et des instruments du rayonnement international de l’Assemblée nationale.” Ils sont actuellement 161 groupes. Parmi eux, le Palais-Bourbon compte cinq Grandes commissions avec le Canada, le Québec, la Russie, la Chine et l’Algérie. À ces groupes d’amitié, il faut ajouter cinq groupes d’études à vocation internationale (GEVI). Dans les faits, rien ne différencie les groupes d’amitié des GEVI, qui disposent des mêmes moyens. Ce n’est en revanche pas le cas des groupes d’études consacrés à une question particulière qui ne peuvent prendre aucune initiative faute de budget. Il en existe plusieurs, notamment sur “la question du Tibet” ou sur “la région du Kurdistan irakien”. Deux régions qui ne sont pas classées comme des GEVI, malgré leur lobbying.
Par Julien Chabrout