Elle faisait naguère figure d’expérimentation ou du moins d’un mode de gouvernance en devenir. Elle a aujourd’hui acquis sa vitesse de croisière. En quatre décennies, la décentralisation s’est imposée dans le paysage politique local français. Rappel des origines de la réforme pour les plus jeunes générations qui ne l’auraient pas connu en ses débuts, bilan et … perspectives d’avenir : Le Courrier du Parlement vous dit tout sur le nouveau mode de gouvernance qui aura marqué le dernier quart de siècle.
Elle est aujourd’hui anciennement ancrée dans la vie française : la décentralisation a quitté depuis longtemps le stade de l’expérimentation institutionnelle.
Qu’est-ce qui a abouti, donc, au vote en 1982, du premier volet de lois de décentralisation (l’ « Acte I ») dans la foulée de l’élection de François Mitterrand ?
Une pièce en quatre actes !
Des tentatives avaient préexisté.
Ainsi l’échec en 1969 du général de Gaulle de mettre en place les Régions. Il valut son départ au chef d‘Etat.
Sans doute la crise économique des années 70 avait-elle rebattu les cartes. Un Etat omnipotent, ce n’était plus le mode de gouvernance moderne qu’il fallait à un pays qui avait vocation à se réinventer.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes : la décentralisation était une revendication libérale. Ce fut un gouvernement socialiste qui la fit.
Acte I, Acte II, Acte III et Acte IV : la décentralisation s’est jouée depuis ses débuts comme une pièce en quatre actes ! Et son histoire, précisément, n’a pas été exempte de coups de théâtres.
1982 : la fin de la tutelle de l’Etat sur les collectivités
La décentralisation affiche en ce début des années 80 de belles ambitions. Il s’agit pour elle de libérer les talents et les savoir-faire locaux. Egalement de confier aux collectivités un pouvoir de décision sur leur propre devenir.
Une homme s’attache à cette réforme : Gaston Defferre, alors ministre de l’Intérieur et maire de Marseille. Sous l’égide de Pierre Mauroy, Premier ministre et également élu d’une grande ville, Lille, fut promulguée la loi du 2 mars 1982. Exit la tutelle pesante sur les collectivités ! Le rôle de l’Etat se résume désormais à un simple encadrement administratif et financier. C’est le principe des préfectures, ou encore du tribunal administratif. Egalement d’une nouvelle institution, elle aussi décentralisée, la Chambre régionale des comptes.
Tournée la page des administrations déconcentrées de l’Etat, omniprésente ! Communes, Département et Régions deviennent des Collectivités territoriales de plein exercice. L’exécutif pour sa part est déplacé du Préfet vers les présidences départementales et régionales.
Cette première ébauche de décentralisation définissait alors une nouvelle articulation des pouvoirs entre Etat, Villes et Régions.
Elle fit couler beaucoup d’encre.
Espoirs, craintes : la réforme déchaina les passions tant elle bousculait les habitudes.
Pouvait-on en matière de décision publique accorder aux élus locaux une confiance dont les seules limites étaient le cadre légal ?
Un maire, un président de Conseil général (mais également désormais régional) étaient-ils des élus suffisamment initiés, compétents techniquement, pour porter ce que jusqu’ici seuls les ministères, relayés par les préfets, avaient pouvoir de décider ?
Et il faut bien reconnaître que les débuts de la décentralisation connurent leur lot de gabegies financières. On vit ici et là sortir au milieu des champs des petits palais censés affirmer le pouvoir de ces nouveaux roitelets de la République.
La France recréait ses seigneurs et suzerains d’Ancien Régime !
Pire : l’accès aux marchés publics fit ressurgir le spectre hideux de la corruption …
Cet « Acte I », comme on le désigna rétrospectivement, ne se fit pas non plus du jour au lendemain, comme d’un coup de baguette magique.
De 1982 à 1986, 25 lois complétées par environ 200 décrets se succédèrent.
Ainsi, en 1983, fut transféré vers les collectivités territoriales l’urbanisme (alors portés par les Plan d’Occupation des Sols et les Schémas directeurs), l’action sociale : c’est l’origine des CCAS. La formation professionnelle, elle, allait du ministère vers les Régions toutes nouvellement érigées en Collectivités territoriales.
Egalement, la gestion des bâtiments scolaires du secondaire. Collèges aux Départements, lycées aux Régions : cette architecture institutionnelle s’est maintenue jusqu’à nos jours.
En 1984, fut créée la Fonction Publique Territoriale. Nouvelle en son domaine, elle gère désormais les carrières des agents des collectivités répartis en trois catégories.
La décentralisation telle que figurant dans les 110 propositions pour la France de 1981 fut réalisée dans ses grandes lignes.
Rare mesure à ne pas avoir vu le jour, la création d’un Département du Pays Basque.
De 1982 à 1986 : 25 lois complétées par environ 200 décrets.
Mieux encore ! L’oeuvre de la décentralisation fut poursuivie malgré les alternances politiques. Elle fut confirmée notamment par la première cohabitation de la cinquième République (1986-1988).
Et la décennie 90 connut une poursuite des réformes dans le sillon de l’Acte I.
Relevons ainsi les lois du 6 février 1992 liées à l’Administration Territoriale de la République (ATR) ou encore loi « Joxe – Baylet ». Elle organise notamment la coopération intercommunale et crée le statut de Communauté de communes.
Egalement celle de 1995 sur les Pays ou loi Pasqua, qui fut confirmée et amplifiée par la loi de 1999 (« loi Voynet ») introduisant la notion de territoire de projet.
Enfin, la loi Chevènement du 12 juillet 1999, simplifiant et relançant l’intercommunalité. On lui doit notamment la formule de Communauté d’agglomération qui fit florès.
Acte II : « l’organisation de la République française est décentralisée »
Comme ses prédécesseurs artisans de la décentralisation, Jean-Pierre Raffarin était un élu local. La Collectivité qu’il présidait, la Région Poitou-Charentes, était née de la réforme. Sûrement avait-il vocation à prendre le relai.
En mars 2003, la décentralisation entre dans la Constitution. Le titre XII du texte de 1958 est modifié pour la première fois (puisque la réforme de 1969 avait échoué).
Le feu vert est donné aux évolutions juridiques et statutaires des collectivités. Citons parmi elles l’expérimentation. Egalement la notion de collectivité « chef de file ».
La loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004 accompagne cet Acte II. Son fait le plus marquant au point qu’il marque le paysage routier demeure le transfert aux Départements de nombreuses routes nationales. Jugées d’intérêt local, celles-ci forment désormais les fameuses routes départementales « à quatre chiffres » dont les panneaux fleurissent le long de nos axes routiers.
D’autres mesures l’accompagnent : la gestion du RMI et du logement social. Et, pour la Région, les transports ferroviaires régionaux ainsi que l’aide aux entreprises et à la formation professionnelle.
2010 : Acte III de la décentralisation ou … Acte I de la centralisation ?
En réformant les Collectivités locales, la loi remplace ainsi la taxe professionnelle. Nos Communes lui devaient une bonne moitié de leurs ressources et donc leur autonomie financière. Le dispositif qui lui succède remet en large partie entre les mains de l’Etat le soin de redistribuer leurs ressources aux Collectivités locales.
Cet Acte III avait une autre ambition : simplifier le tristement célèbre « 1000 feuilles » institutionnel. Le conseiller territorial avait vocation à devenir l’élu commun aux Départements et Régions. Celui-ci devait rationaliser les rapports entre deux Collectivités dont la coexistence était trop souvent critiquée. Le projet de réforme ne survécu pas au changement de majorité de 2012.
La présidence de François Hollande s’attacha à moderniser l’action publique locale. Egalement à l’organisation territoriale de la République.
Naîtront les désormais célèbres « Métropoles », donnant un coup de collier aux anciennes Communautés urbaines. Elles affectent notamment à ces grandes Intercommunalités urbaines des prérogatives stratégiques accrues ainsi qu’un rayonnement international.
Et elles réorganisent les Régions en ensembles fusionnés de 13 Collectivités (18 en incluant l’Outre-mer) . Leurs compétences là aussi sont accrues. Elles deviennent « Autorités Organisatrices de la Mobilités (AOM). Egalement « chefs de file » de nombreuses politiques économiques notamment.
Acte IV : un bilan du quinquennat Macron
Depuis 2017, auront été retouchés les statuts de la FPT. Et depuis un an, est discutée la loi « 4D » pour « différenciation, décentralisation, déconcentration, et dé-complexification »).
La décentralisation ne doit pas pour autant être érigée en dogme. La récente crise du Covid l’a montré : des décisions centralisées, prises au niveau national, relèvent d’un certain degré d’efficacité. Une fois n’est pas coutume, le processus décisionnel de la France en la matière se sera révélé plus pragmatique que la cacophonie des états régionaux de son voisin d’Outre-Rhin.
Quel sera (ou quel doit être) l’avenir de la décentralisation ? Il semble que le transfert de compétences n’est plus le seul critère en matière de progrès de la gouvernance. La simplification du système administratif lance un nouveau défi à nos gouvernants.
L’Alsace a ainsi acquis depuis cette année une assemblée unique. Demain peut-être la Bretagne qui possède un projet dans le même sens.
A lire : Les collectivités territoriales et la décentralisation, Michel Verpeaux, Chrstine Rimbaut, Franckj Waserman, La Documentation française, collection « Découverte la vie publique », 244 pages.
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