Annoncées dès la fin du mois de juillet par le Premier ministre Jean Castex, les mesures de redynamisation du fret ferroviaire seront, espérons-le, considérées comme une priorité. Il en va de la crédibilité d’ensemble du plan de relance économique destiné à réparer autant que faire se peut les dégats économiques de la crise sanitaire. On verra en effet dans le regain d’intérêt pour le « ferroutage » l’une des manifestations de ce que certains appellent de façon pompeuse le « tournant écologique » des politiques publiques dans notre pays. De façon plus prosaïque, un tel sujet apportera du grain à moudre aux tenants du retour de la « planification à la française », nourrie de projections rigoureuses mais placée, pour ce qui concerne l’exécution, sous le signe de la contrainte acceptée. Rien ne peut s’improviser dans une telle affaire car il faut raisonner à vingt ou trente ans, ne serait-que pour penser enfin sérieusement à la desserte des ports de commerce par des connexions appropriées. Sans parler de la réfection des viaducs, tunnels et ouvrages d’art fatigués mal entretenus hors des axes dévolus aux TGV… D’aucuns hurleront au kéynésianisme mais petits et grands travaux de rénovation s’imposent pour sauver ces constructions patrimoniales témoignant de l’inventivité des ingénieurs et ouvriers du temps de nos grands parents.
Un autre volet du dossier porte sur l’équipement industriel car le savoir-faire tricolore pour ce qui concerne la conception des motrices et des wagons reste peu contestable. Et si l’absorption du canadien Bombardier par Alsthom n’ouvrait pas de perspectives de ce côté là , ce serait à désespérer de tout. L’affaire mérite cependant d’être abordée dans son ensemble et sans traîner en route.
Pourquoi ? Parce qu’il existe, inutile de se voiler la face, un tabou spécifiquement français sur la question du transport ferroviaire de marchandises. Il y a en effet des pays – ne citons que l’Espagne – où la fièvre du camionnage a été provoquée par la nécessité. L’essor soudain de l’économie dans la péninsule ne pouvait être accompagné par un réseau ferré embryonnaire et peu modernisé. Notre nation n’a jamais été dans ce cas de figure. Sans remonter trop haut dans l’Histoire, on retrouvera pourtant des photographies et des documents montrant, jusqu’aux années soixante-dix, la qualité et l’étendue du réseau fret français du nord au sud et d’est en ouest. Des jeux d’intérêt variés, y compris à l’intérieur même de notre compagnie nationale, ont contribué au fil du temps à ne plus mettre en avant sa pertinence économique. On a d’abord commencé à ne plus y croire, les industriels pariant sur une utilisation de la route réputée moins sujette aux mouvements sociaux. Puis on a fini par ne plus réfléchir aux évolutions souhaitables alors que les « autoroutes ferroviaires » helvétiques n’ont cessé d’offrir d’excellents exemples de modernité et de rentabilité à nos portes, la traction à hydrogène se parant de moins en moins des couleurs de l’utopie.
Comparaison n’est pas raison, bien entendu, mais il n’est pas interdit de se risquer à affirmer qu’il en ira des trains de marchandises comme il en a été, à une toute autre échelle, des tramways en ville. Méprisés un temps, ils n’en renaitront qu’avec plus de force.