La première phase du grand débat national s’est achevée, le gouvernement doit répondre aux revendications complexes, confuses et parfois contradictoires qui se sont exprimées. Il décevrait fortement s’il ne prenait aucune initiative en matière de fiscalité et de pouvoir d’achat. Or la conjoncture économique ne lui est pas favorable.
Lancée par le président de la République le 15 janvier 2019 en réponse à la crise des « gilets jaunes », la première phase du grand débat national s’est terminée le 16 mars dernier.
Pendant deux mois, les Français ont été invités à proposer leurs solutions pour l’avenir autour de quatre thèmes : la démocratie et la citoyenneté, la transition écologique, la fiscalité, ainsi que l’organisation de l’Etat.
Qu’en restera-t-il ?
Nul doute que, dans ce qu’on retiendra de ces deux mois de grand débat, il y aura les interventions marathons d’Emmanuel Macron. Le président s’est lancé dans l’arène le 15 janvier, à Grand Bourgtheroulde dans l’Eure où il a échangé pendant plus de 6h30 avec 600 maires normands. L’exercice a été répété plusieurs fois, puis renouvelé auprès des jeunes, en banlieue, autour du thème de la transition écologique…
C’est surtout la mobilisation de tant de personnes pour exprimer leurs maux et donner leur opinion qui est inédite. Ils ont pris la parole dans les conférences régionales, 13 en métropole et 5 en outre-mer, et lors des 10 000 réunions organisées sur tout le territoire et ayant réunis entre 400 000 et 500 000 participants.
Un constat : la fragmentation de la société française
Les premières enquêtes sur la participation des citoyens au Grand débat montrent que les contributions proviennent surtout de la France urbaine et de la tranche supérieure des classes moyennes, actives ou retraités. La France périphérique, qui est celle des gilets jaunes, a peu contribué au débat.
Cette opposition majeure recouvre d’autres fractures, ainsi en Seine-Saint-Denis, on est resté à l’écart du mouvement comme du débat.
De même sur les 75 000 personnes tirées au sort pour participer aux conférences citoyennes seules 10% ont accepté d’y participer.
Si ces indications relativisent le caractère national de la consultation, sa portée n’en est pas moins diminuée. Les 16 000 cahiers de doléances, les requêtes exprimées lors des 10 000 réunions locales, les presque 2 millions de contributions mises en ligne et les diverses revendications portées par les Gilets jaunes, constituent une masse considérable de revendications et d’exigences complexes et contradictoires adressées au gouvernement.
Emmanuelle Wargon et Sébastien Lecornu, les deux ministres chargés de faire la synthèse de ces débats vont avoir fort à faire ! Des organismes de sondages ont même été appelles à la rescousse !
Une surenchère de propositions fiscales
Le grand débat a été particulièrement animé sur la fiscalité d’autant que les ministres s’en sont mêlés. Le gouvernement a multiplié les propositions fiscales contradictoires, donnant une impression de cacophonie.
Pour résumer, les Français veulent à la fois moins d’impôts et plus de dépenses publiques. Ils souhaitent des taxes plus élevées seulement si la hausse concerne les autres, particulièrement les plus riches !
Une démocratie renouvelée
Le mouvement des « gilets jaunes » et le grand débat témoignent de l’aspiration profonde à une démocratie renouvelée.
Vote blanc, référendum d’initiative citoyenne « RIC », droit de pétition… des pistes sont multiples pour réinjecter de la démocratie participative.
Tant au plan national qu’à l’échelon local, les élus vont devoir répondre à cette demande d’ouvrir des espaces d’échange et de confrontation, d’intégrer dans le processus de décision une part de délibération – et pas seulement de consultation – citoyenne.
Le défi écologique a débordé le cadre du grand débat
Parmi les 460 000 contributions enregistrées sur le Web du grand débat, 125 000 concernent la transition écologique. Ce qui en fait le deuxième sujet le plus débattu après la fiscalité et les dépenses publiques !
Certains dénoncent une « écologie punitive », d’autres prônent la « tolérance zéro » pour tout dommage à l’environnement. Pour de nombreux gilets jaunes dont le mouvement a été en partie déclenché par la hausse des taxes sur les carburants, la transition écologique s’apparente à une couteuse lubie de « bobo parisiens », alors que pour d’autres elle est jugée indispensable. Sur ce sujet les propositions ont été particulièrement nombreuses et inventives
En revanche, le thème de la dépense publique et a très peu mobilisé l’opinion sauf pour fustiger le coût du fonctionnement de la république et les avantages des hauts fonctionnaires ou des élus.
Apporter des réponses à la hauteur pour éviter la déception
Le président a annoncé dans sa lettre aux Français qu’il « rendra compte directement » de cette consultation, et donnera « les grands axes de réponse et le sens de la direction à suivre ».
Les très nombreuses propositions issues de ce débat ne pourront pas toutes être retenues pour Edouard Philippe, l’enjeu est de trier, d’analyser et d’arbitrer. La question qui se pose désormais concerne la faisabilité des réformes espérées par les Français alors que la dette du pays s’élève à presque 100% du PIB. Pour nombre d’élus il est urgent que l’exécutif prenne des mesures rapides, même symboliques, pour répondre à l’attente des Français.
Mais certaines annonces pourraient ouvrir des chantiers de plusieurs mois et prendre différentes formes : référendum, projets de loi, « Grenelle social », remaniement…
Conclusion
La vaste consultation n’a pas suffi à désamorcer la défiance à l’égard du pouvoir, mais elle a libéré une parole citoyenne à laquelle nos institutions n’offrent en général que peu de place.
Elle a révélé la fracture presque anthropologique entre une élite « ouverte » et des classes moyennes et populaires condamnées à la stagnation, à l’immobilité, sinon au déclassement, et estimant que voter ne sert à rien.
A cette crise Emmanuel Macron devra apporter un large éventail de réponses, aller vite pour répondre à l’urgence tout en prenant le temps de poser le bon diagnostic. Dans une société de plus en plus fragmentée chacun propose des solutions extrêmes. Or l’avenir se jouera sur la capacité à trouver le juste milieu. Ce qui commence par mieux éclairer les choix.