Alors que 80 % des salariés franciliens se déclarent être prêts à quitter la région parisienne1, l’aménagement des territoires s’avère un enjeu brûlant. Se dirige-t-on à l’aube du XXIème siècle vers un exode urbain en faveur d’un renouveau de l’industrie ? Débat.
Sortir la France de la catastrophe industrielle, tel est le crédo de la fondation Concorde qui souhaite “faire de la France le pays le plus prospère d’Europe”. Dans sa mission de Think Tank, elle réunissait début octobre les acteurs de l’industrie française de nos régions. Le discours n’est pas nouveau puisque la présidente du Front National se proclamait déjà en 2012 la “candidate du protectionnisme et de la réindustrialisation”. Alors que Donald Trump augmente les droits de douanes sur les importations chinoises, que Viktor Orban fait fi de ses engagements envers l’Union Européenne, l’heure est au repli. Pourtant, le défi climatique et l’intérêt insatiable de la France pour le modèle industriel allemand justifient aujourd’hui eux aussi le “produire local”.
La part de l’industrie dans le PIB a commencé à chuter en 1990, passant de 18 % à 10 % actuellement. Aujourd’hui, le rappelle la fondation, “la France ne produit pas plus qu’en 1996, tandis que nous consommons 60 % de biens en plus.” En conséquence, la balance commerciale française indiquait en 2017 un déficit de 62,3 milliards d’euros, deuxième déficit le plus important en Europe devant le Royaume-Uni tandis que l’Allemagne – dont 20 % de la production est industrielle – dégageait un excédent commercial de 245 milliards d’euros. Pour l’économiste Jean-Hervé Lorenzi, la France doit retrouver le “goût” de produire. “La France croit être depuis une vingtaine d’années une société de services orientée vers la start-up nation à l’israélienne. Chez nous pourtant, le domaine des nouvelles technologies représente moins de 5 % de notre PIB.” Et Bruneau Granjean, Président d’une ETI et de l’Alliance industrie du futur de renchérir : “On s’est entendu dire vivre dans une société post-industrielle, mais le monde est au contraire hyper-industrialisé. Nous, industriels avons-nous loupé le coche ? ”.
La faute à la bureaucratie jacobine
Lors de la conférence, Hervé Morin, Président de Régions de France, dénonçait une politique d’en haut, portant préjudice aux territoires oubliés. “Les pays qui réussissent dans l’industrie sont les plus fortement décentralisés ou fédéralisés car l’innovation est incapable de porter ses fruits quand l’Etat met des années à étudier un dossier. Pour cela, nous allons conclure un nouveau pacte girondin et proposer au gouvernement une décentralisation pleine et entière”. Les gouvernements précédents avaient pourtant engagé plusieurs réformes pour renforcer les compétences des collectivités territoriales. La loi MAPAM de janvier 2014 relançait l’acte III du processus de décentralisation en cherchant à dynamiser les pôles de développement économique des régions, notamment à travers l’attribution du statut de métropole2. L’Etat est d’autant plus pointé du doigt qu’une grande partie de l’industrie dépend de la commande publique, essentielle dans les domaines des énergies et du ferroviaire. “L’histoire d’Alstom se résume à la faillite du nucléaire” avance Henri Poupart-Laforge, le patron de la compagnie. “Les gouvernements français ont loupé le coche du gaz et des énergies renouvelables et leurs décisions ont impacté toute l’industrie du secteur. L’Allemagne a pris par exemple plusieurs années d’avance sur l’économie de l’hydrogène et son industrie en tirera des bénéfices. De plus, les collectivités locales se doivent de respecter les procédures des marchés publics, quitte à commander des trains produits à l’étranger.”
Engager une réforme fiscale
Annabel André-Laurent, vice-présidente de la région Auvergne- Rhône-Alpes souligne l’attractivité des territoires français pour peu que l’Etat engage une réforme fiscale. “Les régions bénéficient d’écosystèmes efficaces, de formations pertinentes, de laboratoires innovants, d’entreprises qui créent de la richesse et de l’emploi… du moins si l’Etat les laisse travailler tranquillement ! Mais aujourd’hui, je suis inquiète pour nos entreprises mises à mal par le blocage qu’impose la fiscalité”. Selon la fondation Concorde, une réforme fiscale serait gage de compétitivité puisque l’écart de taxation avec les autres pays européens empêche l’attractivité des territoires français. C’est ainsi qu’elle préconise à l’Etat de faire des économies sur les dépenses publiques pour “supprimer les 12,5 milliards d’euros de taxes à la production sur les entreprises”.
Pourtant, la dépense publique n’est-elle pas garante de l’efficacité des structures favorables au développement économique et à l’investissement dans le pays ? C’est en tout cas l’avis partagé par Nicolas Théry, président de la Confédération nationale du Crédit Mutuel. “Je suis un défenseur farouche de la défense publique. C’est elle qui assure la qualité de nos infrastructures et de l’éducation. Si l’on prétend rendre aux territoires leur attractivité, cela implique leur accessibilité. Vous n’attirerez jamais une entreprise à s’installer sur un territoire si les moyens de transport ne permettent pas à ses salariés de se rendre au travail ou si leurs enfants n’ont pas accès à une école de qualité.”
Pour Frédéric Coirier, co-président du mouvement des entreprises de taille intermédiaire, il faut faire basculer le financement de la dépense sociale de la production vers la consommation, ou bien totalement revoir la dépense publique. “Tant que nos usines seront taxées ainsi, elles ne pourront pas être compétitives dans le monde et dégager de marges suffisantes pour investir, ce qui engendre le déficit commercial et la paupérisation de la société.” Le montant des charges salariales est directement visé. Pourtant, la part des salaires dans la distribution de la valeur ajoutée a considérablement diminué depuis l’époque où l’industrie française représentait près d’un cinquième du PIB, au profit notamment des dividendes distribués aux actionnaires. Quid de la répartition des marges dégagées par les entreprises et de leur structure. Car après tout, “le meilleur financement de l’investissement, c’est l’autofinancement grâce aux marges réalisées par l’entreprise”, rappelle M. Granjean.
“Quand on parle d’industrie, les jeunes ont en tête la chaîne de montage. L’époque des fonderies à l’ancienne avec les creusets de métal en fusion est révolue !”
Réconcilier les jeunes avec l’industrie
Ce désir de réindustrialiser la France et de relocaliser concorde surtout avec la naissance d’une nouvelle industrie qui justifie de moins en moins une production à l’étranger. Pour Hervé Novelli, de la fondation Concorde, “l’industrie d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier et cela redonne des chances à la production française. Les imprimantes 3D permettent actuellement de produire partout sur nos territoires.” Cette personnalisation de l’industrie doit permettre un regain d’intérêt des jeunes pour le secteur, dont les formations doivent être cogérées par les industriels eux-mêmes, à proximité des entreprises. “Quand on parle d’industrie, les jeunes ont en tête la chaîne de montage. L’époque des fonderies à l’ancienne avec les creusets de métal en fusion est révolue ! Nous avons besoin de programmeurs, de métiers très valorisés ailleurs, mais pas dans l’industrie. On a tellement dégradé les métiers manuels qu’il est nécessaire de remettre la notion de métier au coeur de la pédagogie d’orientation” insiste Boris Ravignon, Président de l’AdCF3. Dans cette objectif, l’Alliance pour l’industrie du Futur et BPI France participeront avec un panel d’industriels à l’opération “L’usine extraordinaire”. Pour son premier événement, elle invitera les jeunes à rencontrer des entreprises au Grand Palais à Paris, du 22 au 25 novembre prochain. Espérons que l’opération rende l’industrie un peu plus sexy aux yeux des jeunes générations…
Plus d’informations sur www.usineextraordinaire.com
(1) Rapport “La revitalisation des territoires” de la Fondation Concorde, février 2018.
(2) Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
(3) L’Assemblée des Communautés de France.