Après la diffusion de son documentaire Le dernier socialiste, dans une version raccourcie, le 2 avril 2018 sur France 3 Hauts-de-France, Maxence Voiseux revient sur les volontés et les intentions de son film, retraçant la défaite du Parti socialiste aux élections présidentielles, à travers le prisme du MJS.
Votre documentaire dépeint l’engagement et le militantisme de la jeunesse, pourquoi avez-vous retracé la défaite du PS au travers du MJS ? Votre premier choix était-il de montrer la campagne ou de montrer la jeunesse ?
Le but initial du film demeure la représentation de l’engagement, plutôt que de la campagne ou de la jeunesse. Je tenais à le décrire au travers d’un mouvement traditionnel et très organisé. Le MJS symbolisait un laboratoire intéressant, puisque tout le monde annonçait une défaite de la gauche. J’ai fait le choix de montrer la gestion de cette campagne par des jeunes engagés de manière classique. L’idée n’était pas de faire un simple reportage autour du candidat, mais de s’ancrer dans la longueur ; le film a été tourné sur plus d’un an, du tout début des primaires, jusqu’aux législatives et aux premières manifestations suite à l’élection d’Emmanuel Macron.
Après l’instauration de ce cadre de départ, j’ai demandé à Grégoire Isvarine, ami et comédien, de s’engager au sein du MJS. Le second but du film réside donc dans la confrontation d’un jeune, avec des convictions mais n’ayant jamais goûté à l’engagement dans cette forme, comme beaucoup de personnes de sa génération, au fonctionnement d’une telle structure. Le pari était de suivre son intégration pour mettre face à face deux registres du réel, ainsi que deux visions de la politique : l’une naïve, et l’autre très politisée. Le dispositif fictionnel engagé a donc créé un film d’expérience, au-delà même de l’engagement politique.
Le personnage central explique au début qu’il n’entre pas en politique pour ses convictions, mais pour retrouver une fille. De quelle manière la discréditation initiale de ses choix ouvre-t-elle une construction de son engagement, qui s’avère très prometteuse ?
Demander à un ami de s’engager afin de voir jusqu’où il peut se plaire, s’intégrer et y croire, est au départ plutôt artificiel. Ainsi, le film met du temps à fonctionner et reste d’abord ‘gauche’ et balbutiant. Grégoire est gêné parce qu’il n’a rien à faire là, si ce n’est essayer quelque chose que je souhaite filmer. Le fait de le jeter dans l’arène de cette manière n’est pas intéressant en soi, mais ce qui est produit par le dispositif est attrayant : la compréhension progressive, les rencontres, les explications, la prise de marques, mais aussi et surtout, la victoire de Benoît Hamon à la primaire. En effet, Grégoire s’est retrouvé dans ses valeurs et ses propositions. Le film n’aurait pas eu le même souffle si Manuel Valls avait gagné. Je n’aurais alors pas pu lui demander de continuer son engagement, du moins de cette manière.
Mettre face à face (…) deux visions de la politique : l’une naïve, et l’autre très politisée.
La réussite de son intégration réside dans la durée ; il a assisté à de nombreux meetings, séances de diffusion, voyages, conférences, etc. L’engagement, au-delà d’avoir une carte dans un parti, c’est rencontrer des gens engagés pour des raisons très différentes. Au MJS, certains capitalisent pour un futur en politique, d’autres sont là uniquement pour des raisons sociales (créer des liens, se faire des amis, etc.), ou des causes particulières (écologie, etc.). C’est une institution ancienne, autonome, qui, comme n’importe quel mouvement politique, est faite d’hétérogénéité, et organisée selon une majorité et ses minorités.
La question générationnelle est récurrente dans votre œuvre, avec notamment la réflexion autour de la transmission des savoir-faire dans Les Héritiers, en quoi vous sentez-vous proche de ces sujets ?
Les thématiques des deux films (l’engagement et la transmission d’un héritage) se complètent sans raconter tout à fait la même chose. Les milieux sont extrêmement différents en termes de codes, de langage et de comportement. J’ai une appétence particulière pour ces sujets, puisqu’ils fabriquent fondamentalement notre identité, sans jamais être complètement réglés. La manière dont on s’engage dépend de notre milieu social. Qu’on s’en émancipe ou qu’on perdure nos valeurs, c’est toujours synonyme d’une grande fracture.
Les Héritiers est tourné dans l’Artois, mais vous entrez dans Paris avec Le dernier socialiste, que retenez-vous du passage de l’espace rural à l’espace urbain ?
Le passage a été difficile, après deux courts et un long-métrage dans la ruralité, loin de l’agitation. Le dernier socialiste est mon premier film ingrat en termes de décors. Paris est une ville de cinéma certes, mais il est impossible de l’imager en filmant des bureaux ou des AG. Au-delà du décor, la rupture n’est pas tant liée au rapport campagne-ville, mais plutôt au changement de rythme. Les Héritiers a été filmé sur un territoire très arrêté (des fermes et un abattoir), contrairement à ce tournage, explosé dans le temps et l’espace. Une réactivité permanente a été nécessaire pour être un jour à Paris, et le lendemain au Havre ou à Marseille. J’ai souhaité m’éloigner au maximum de la grammaire télévisuelle des films politiques, afin de rendre quelque chose de dynamique, davantage de l’ordre du cinéma. Ainsi, les personnages sont filmés sur pied dans les bureaux, et en mouvement dans les transports et les actions.
Pour tout socialiste, regarder votre film c’est perdre une seconde fois, en voyant les lumières de Solférino s’éteindre et un militant se perdre seul dans la foule. Mais dans le même temps, ce personnage est encore dans la rue. Le dernier socialiste veut alors dire que le socialisme est voué à la solitude et à la perdition ou plutôt, que les socialistes, même affaiblis et peu nombreux, restent toujours présents ?
Cette question ne m’appartient pas complètement ; le débat est ouvert depuis plus de 20 ans. Même si les personnes filmées sont selon moi de ‘vrais’ socialistes, je n’ai pas la prétention d’y répondre en l’espace d’un documentaire. Le socialisme a été l’étendard du PS, cependant, comme l’a expliqué Benoît Hamon à la fin de sa campagne en créant le mouvement Génération-s, des candidats en portaient uniquement l’étiquette, et plus les valeurs. Le PS meurt à partir du moment où sa nouvelle forme, la social-démocratie, ne répond plus aux deux mots qui l‘élèvent. Le titre est un clin d’œil ; les socialistes sont encore là, mais prennent des chemins différents, notamment au sein de la FI, du NPA, de la FO, de syndicats, d’associations, etc. L’espoir est toujours présent en matière d’alliance des mouvements de gauche, mais le travail est immense ! Avec les nouveaux mouvements sociaux, ils parviennent à reprendre leur intelligence du cœur pour un dialogue plus apaisé. La reconstruction, pourtant nécessaire, n’est pas aisée.
La manière dont on s’engage dépend de notre milieu social. Qu’on s’en émancipe ou qu’on perdure nos valeurs, c’est toujours synonyme d’une grande fracture.
Le documentaire livre une forte réflexion sur l’engagement politique, surtout après la défaite de Benoît Hamon, et notamment dans des associations ou des syndicats ; quelles envies voulez-vous faire naître ?
Je n’ai pas demandé à mes personnages de faire passer un message. Benjamin Lucas (président du MJS) et Imène Miraoui (secrétaire nationale) ont eu des velléités pour faire de la politique autrement ; ils évoquent le syndicalisme et l’associatif. Imène est entrée à France Nature Environnement, alors que Benjamin a rejoint Génération-s. Ils ont 27-28 ans et auront envie de militer toute leur vie. Cependant, en y goûtant pendant une dizaine d’années, ils ont presque épuisé l’engagement politique de manière partisane. Après avoir connu les partis traditionnels et vu se dégrader l’état du PS, les limites et la lourdeur d’un parti aussi organisé et démocrate étaient palpables pour eux. En vue d’une recomposition complète du paysage politique, leur engagement prend nécessairement une nouvelle forme ; ces remises en question sont légitimes.
On retrouve une partie dramatique dans vos documentaires et le désir de raconter d’abord une histoire, vous dirigez-vous vers une œuvre davantage fictionnelle pour le futur ?
Je souhaite les combiner, même si c’est rare et compliqué. En France, les réalisateurs sont rapidement catalogués selon un genre précis. Une inscription dans les deux n’est pas impossible puisqu’ils se nourrissent. Les documentaires m’offrent le matériel du réel indispensable à l’écriture de fictions. Je veux que mes films se répondent. Les dispositifs et intentions de mes documentaires touchent parfois à une écriture plus fictionnelle. De la même manière, je souhaite que la réalisation de mes fictions s’inspire de cette fibre documentaire. Elles seront certainement tournées dans des décors naturels avec des acteurs non professionnels.
Actuellement, deux projets sont en réalisation. Je travaille sur une fiction : l’adaptation d’un livre qui est une suite narrative aux Héritiers. Dans le même temps, je tourne un nouveau documentaire, encore autour des thématiques de la transmission et de l’émancipation, dans le milieu des courses de chevaux, dans le Nord de la France. Au-delà de l’aspect cinématographique, le film se concentrera sur l’arrière-cour, avec le travail à l’écurie et les rapports familiaux, mais également sur les courses. L’Artois et le Nord sont des terres de cinéma dans lesquelles je souhaite m’inscrire.
Crédit image à la une : Alter Ego Production.