La journée du 28 juin était censée constituer une formalité pour nommer le bureau et les présidents de commissions de l’Assemblée nationale. Elle s’est transformée en véritable mini-crise institutionnelle, la séance se terminant après minuit.
La première séance de la XVème législature, ouverte à 15 heures, aurait dû être close quelques minutes plus tard, après avoir entériné la nomination des 22 membres du bureau. Mais nous sommes entrées dans une nouvelle ère politique depuis le 7 mai dernier. Rien ne se passe plus comme avant. Il aura donc fallu plus de 9 heures de séance pour aboutir à la composition d’un bureau contesté avant même son élection par une bonne partie de l’opposition.
Renouvellement du bureau
En théorie, et cela se pratiquait sans grand problème depuis des dizaines d’années, les membres du bureau de l’Assemblée Nationale (qui comprend le Président, les 6 vice-présidents, les 3 questeurs et les 12 secrétaires) sont nommés, et non élus, après la constitution d’une liste approuvée par les présidents de groupe. La répartition des postes se fait à la proportionnelle, un questeur revenant ainsi au groupe d’opposition numériquement le plus important. Puis, cette liste est soumise à l’ensemble des députés, et si aucune observation n’est émise, le bureau est installé. Mais force est de constater que la théorie est bel et bien chamboulée depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel « Jupiter » Macron.
En effet, quelques instants avant le début de la séance, programmée à 15 heures, une candidature à un poste de questeur émanant du groupe Les Constructifs est déposée, au nom de Thierry Solère. Elle vient s’ajouter à celle de deux candidats LREM et à celle d’Éric Ciotti, pour l’opposition. Quatre prétendants pour trois places, un vote sera nécessaire. Mais face à ce qui apparaît comme un manque de respect de l’opposition de la part du groupe LREM et de leurs proches des Constructifs, les présidents de groupe souhaitent s’exprimer pour tenter de trouver une solution à cette situation « inédite » selon Olivier Faure. C’est l’insoumis Jean-Luc Mélenchon qui débute, étant ainsi le premier député à prendre la parole en séance lors de cette législature. Il réclame la création d’un 7ème poste de vice-président, pour que chaque groupe en bénéficie d’un. Puis Christian Jacob rappelle les principes d’attribution, depuis 1973, des postes de questeur, et revendique donc le troisième. S’ensuit le scrutin, qui, sans grande surprise du fait de la majorité écrasante de LREM et de ses alliés, porte à la questure les deux députés LREM et Thierry Solère. Christian Jacob s’empresse de prendre la parole : « Nous venons de rompre avec plus de 50 ans de pratique parlementaire. Les droits de l’opposition viennent d’être bafoués comme ils ne l’avaient jamais été dans cet hémicycle. C’est la majorité qui choisit son opposition ; cela n’était jamais arrivé. La situation est extrêmement grave : il n’y a plus de contrôle budgétaire dans cette maison. » Une suspension de séance pour réunir les groupes est requise. Elle dure finalement plusieurs heures, dans un flottement certain. Personne ne sait quand la séance va reprendre. De retour dans l’hémicycle, c’est de nouveau le patron des Républicains qui s’exprime. Face à ce qu’il qualifie de « déni de démocratie », il annonce que les députés LR se retirent du bureau (à savoir les deux vice-présidents et les secrétaires) tant que la situation n’évolue pas. Richard Ferrand, prenant la parole pour la première fois, déplore que ses collègues « boudent ». Face au blocage annoncé, l’éphémère ministre avance le fait que son groupe présentera de nouveaux candidats à la vice-présidence, pour combler le vide laissé par les LR. Sur 6 édiles, 5 seraient donc membres de LREM, et un du MoDem. Nouvelle suspension de séance.
Vers 22h30, les débats sont repris. 10 candidats se sont déclarés pour être vice-président, dont l’UDI-constructif Yves Jégo, et même Jean Lassalle qui propose sa candidature pour « apaiser les tensions ». Après de virulents échanges entre Jacob et Riester, qui illustrent un peu plus le déchirement violent au sein de la droite, et une apostrophe très remarquée d’André Chassaigne, qualifiant de « petit » le comportement de la majorité, les vice-présidents sont finalement élus. Tous appartiennent à la majorité présidentielle. Il est minuit passé, la séance est enfin levée.
Contestations et mensonges
Mais l’opposition, les oppositions, ne comptent pas en rester là. Face à ce monopole LREM sur le bureau de l’Assemblée, les réunions de jeudi, notamment celle des présidents de groupe et du fameux bureau, s’annonçaient orageuses. Par ailleurs, Les Républicains crient toujours au déni de démocratie, et s’insurgent contre le « rouleau compresseur » LREM. La situation évoluera donc sûrement, soit avec une modification des règles d’attribution des postes du bureau, soit avec une réélection de celui-ci. Ferrand indiquait mercredi que dès que les LR auraient fini de « bouder », les membres LREM arrivés en renfort démissionneraient pour laisser la place à leurs collègues, notamment pour les deux postes de vice-président leur revenant.
Mais la candidature et l’élection de Thierry Solère n’a pas seulement été vécue comme une trahison par ses anciens collègues LR. Il se murmure que les membres UDI du groupe Constructifs n’ont même pas été prévenus de sa candidature, et sont furieux. Ils pourraient même décider de faire scission et de créer un groupe UDI à l’Assemblée. Yves Jégo a d’ores et déjà annoncé demander un rendez-vous avec le Président du Conseil Constitutionnel, ayant constaté des « irrégularités ». Quant à Philippe Vigier, ancien patron des députés UDI, il avoue que lui et ses collègues n’ont pas été prévenus de la candidature de Solère, l’ayant apprise « sur les bancs » et reconnaît bien volontiers que ce poste aurait dû revenir aux Républicains.
Les commissions attribuées
Les mêmes scènes auraient pu se reproduire pour l’élection des présidents de commission. Si certains postes ne posaient pas problème (de Sarnez aux affaires étrangères, Pompili à la biodiversité), la commission des finances crispait les esprits. En effet, depuis une dizaine d’années, la présidence de cette importante commission, qui étudie notamment les lois de finances, revient à l’opposition. En séance mercredi, certains s’inquiétaient qu’à l’image de l’affaire des questeurs, les membres LREM de la commission prennent part au vote et permettent ainsi d’élire quelqu’un d’autre que le candidat choisi par LR, Éric Woerth. Le Constructif Charles de Courson était ainsi une réelle menace. Finalement, le premier a été élu aux dépends du second, mais seulement au troisième tour de scrutin, n’ayant pas réussi à obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés. La première semaine à l’Assemblée s’achève péniblement, pleine de tensions. Et la menace de boycott du Congrès par nombre de députés d’opposition, dont le patron de l’UID Jean-Christophe Lagarde, n’arrange rien.
La composition du bureau de l’Assemblée élu le 28 juin dans la nuit :
- questeurs : Florian Bachelier (1er Questeur), Laurianne Rossi et Thierry Solère ;
- vice-présidents: Carole Bureau-Bonnard (1ère vice-présidente), Hugues Renson, Danielle Brulebois, Sacha Houlié, Cendra Motin et Sylvain Waserman ;
- secrétaires : Lénaïck Adam, Ramlati Ali, Clémentine Autain, Luc Carvounas, Lionel Causse, Stéphanie Do, Laurence Dumont, Marie Guévenoux, Annaig Le Meur, Sophie Mette, Gabriel Serville et Guillaume Vuilletet.
Les présidents des 8 commissions permanentes :
Commission du développement durable : Barbara POMPILI
Commission de la défense et des forces armées : Jean-Jacques BRIDEY
Commission des finances : Éric WOERTH
Commission des affaires sociales : Brigitte BOURGUIGNON
Commission des affaires culturelles : Bruno STUDER
Commission des affaires économiques : Roland LESCURE
Commission des affaires étrangères : Marielle de Sarnez
Commission des lois : Yaël BRAUN-PIVET
Image à la Une : © Vernier / JBV News