Dans quelles mesures les pouvoirs publics peuvent-ils faire face aux perturbateurs endocriniens ? La problématique a été abordée lors du colloque organisé par le Sénat, le 11 avril, parrainé par le sénateur Jean Bizet.
Une grande partie des maladies chroniques s’expliqueraient par les perturbateurs endocriniens, de quoi alarmer André Cicolella[1], chercheur français en santé environnementale. Ces substances inquiètent l’opinion publique et seraient même particulièrement dangereuses pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.
Produits cosmétiques, matières plastiques et pesticides : les perturbateurs endocriniens sont présents dans tous les objets de la vie quotidienne, rappelle la sénatrice Marie-Christine Blandin (les Verts). Ils entraîneraient une altération du système hormonal avec des effets néfastes pour la santé. Pour rappel, les hormones sont des molécules sécrétées par les glandes endocrines. Elles régulent le fonctionnement de l’organisme, en s’attachant sur les organes grâce à un système de récepteurs. Les perturbateurs endocriniens vont alors imiter ces hormones naturelles en se fixant au même endroit.
Pour la sénatrice Aline Archimbaud[2] : « les résultats politiques ne sont pas au rendez-vous et les ambitions trop faibles ». En effet, les dangers de ces substances et la difficulté de s’en prémunir rendent l’intervention des pouvoirs publics aussi complexe que nécessaire. En ce sens, le Sénateur Jean Bizet[3] énonce fermement qu’ils ont le devoir de trouver des solutions pour résoudre ce véritable enjeu de santé publique.
Une incertitude scientifique rendant la tâche complexe
Le rapport sénatorial[4] du 12 janvier 2017 pointe du doigt de nombreuses divergences entre scientifiques. Les toxicologues affirment que « c’est la dose qui fait le poison ». Pas de quoi convaincre le professeur Barouki, de l’INSERM, d’après qui une simple exposition entrainerait des effets néfastes sur la santé. Quant au professeur Jacques Young, endocrinologue, la relation cause à effet entre le mode d’action endocrinien et l’effet indésirable sur la santé est loin d’être évidente d’un point de vue scientifique. Jean Bizet craint que cette ambiguïté se transforme en incertitude juridique, prônant ainsi une réglementation appuyée sur des éléments fiables et guidée par la recherche.
André Cicolella dénonce à son tour une cacophonie scientifique, estimant que les pouvoirs publics ne sont pas des chercheurs. Selon lui, les études déjà réalisées sont amplement suffisantes pour justifier une action gouvernementale ferme. Le 30 novembre 2016, près de 100 scientifiques avaient accusé la « fabrique du doute » dans une tribune pour le journal Le Monde, regrettant une déformation des preuves scientifiques. Le sénateur Alain Vasselle désapprouve un travail réglementaire extrêmement difficile à cause de cette indétermination.
Une Europe omniprésente
Alain Vasselle souligne que « nous sommes condamnés à travailler avec l’Europe ». Sans l’appui de l’institution, les lois manqueront d’impulsions en créant des situations de distorsions de concurrence avec des produits interdits en France et autorisés ailleurs.
La sénatrice Marie-Christine Blandin critique la lenteur de Bruxelles, la Commission a attendu sa condamnation par le tribunal de l’UE pour proposer une définition des critères scientifiques permettant d’identifier une substance comme perturbateur endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques et les biocides. La Commission des affaires européennes du Sénat veut aller plus loin avec des critères d’identification pour les cosmétiques et les emballages plastiques. De nombreuses associations réclament à l’unisson un assouplissement du système de preuves: l’effet indésirable devrait être simplement biologiquement plausible. L’Europe s’appuie sur des expériences standardisées, ce qui pose un vrai problème pour le sénateur Vasselle.
Consensus de l’ensemble des acteurs : la recherche européenne doit être renforcée. Roger Genet, directeur de l’ANSES, estime qu’une seule instance au niveau européen doit identifier les perturbateurs endocriniens. Dans la même optique, la commission des affaires européennes encourage la création d’un groupe international de scientifiques indépendants et de haut niveau qui sera capable de fournir une information objective sur ce sujet.
Un principe de précaution à manier avec prudence
Du côté de la Chambre Haute, la volonté d’agir est bien réelle. S’appuyant sur les 400 produits pointés du doigt par UFC que choisir, la sénatrice Marie-Christine Blandin insiste sur la nécessité de mettre en place « un étiquetage informatif ». Le sénateur Joël Labbé a quant à lui pris le problème à bras le corps en interdisant l’utilisation des pesticides pour l’entretien des espaces publics[5]. En revanche, Jean Bizet est méfiant et prône un principe de précaution raisonné : « nous ne pouvons pas être une ONG gouvernementale ». Il s’inquiète de l’impact des molécules de substitution utilisées en remplacement des perturbateurs endocriniens. En ce sens, Michel Urtizberea[6] donne l’exemple d’une molécule en échange du Parabène qui est devenu le conservateur le plus allergisant de l’année 2016 ! Anne Dux[7] met également en garde contre les pressions médiatiques et l’application d’un principe de précaution à tout va.
Concernant l’agriculture, Jean Bizet ne veut pas perdre de vue l’augmentation des rendements agricoles grâce à certains produits. Un agriculteur prend la parole et s’invite à la réflexion : « quand tous les agriculteurs seront morts de cancers, il n’y aura plus de problèmes de concurrence ».
Le sénateur honoraire Claude Huriet s’interroge : « que faire si la science n’a pas réussi à combler l’incertitude chez les citoyens ? ». Dans cette attente, quelle doit être l’attitude des consommateurs face aux produits qu’ils utilisent tous les jours ?
[1] Andrée Cicolella, président du Réseau Santé et environnement.
[2] La sénatrice Aline Archimbaud (les verts), à l’origine de la résolution visant à renforcer la lutte contre l’exposition aux perturbateurs endocriniens, adoptée par le Sénat le 22 février 2017.
[3] Le sénateur Jean Bizet (LR), président de la commission des affaires européennes du Sénat.
[4] Rapport d’information au nom de la commission des affaires européennes sur les perturbateurs endocriniens par les sénateurs Patricia Schillinger ( Groupe socialiste du Sénat) et Alain Vasselle (LR) . Enregistré à la présidence du Sénat le 12 janvier 2017.
[5] Depuis le 1er janvier 2017, l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics ont l’interdiction d’utiliser des pesticides pour l’entretien de leurs espaces. Par ailleurs, la Loi Labbé prévoit l’arrêt de la vente des produits phytosanitaires aux particuliers à compter du 1er janvier 2019.
[6] Michel Urtizberea, responsable du service homologation chez BASF ;
[7] Anne Dux, directrice des affaires scientifiques et réglementaires et chargée des relations européennes pour la fédération des entreprises de la beauté.