Saisie de deux questions préjudicielles par les Cours de cassation française et belge, la Cour de justice de l’Union Européenne a rendu deux arrêts le 14 mars dernier pour clarifier la réglementation sur le port de signes religieux en entreprise. Une forme de marche à suivre pour concilier croyance et travail.
La question religieuse en entreprise risque encore de faire couler beaucoup d’encre. En témoignent les deux arrêts rendus récemment par la Cour luxembourgeoise pour tenter d’aiguiller les Cours de cassation française et belge. Ces Hautes juridictions devaient se prononcer sur le licenciement d’une salariée refusant d’ôter son foulard islamique. Dans sa réponse, la Cour luxembourgeoise donne le ton pour plus de sécurité juridique. Oui, l’employeur peut restreindre la liberté religieuse de ses salariés au moyen d’un règlement intérieur. Néanmoins, en l’absence d’une telle règle, « une exigence professionnelle essentielle et déterminante » peut être de nature à interdire le port d’un signe religieux.
La Cour précise ici son interprétation de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 créant un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
La laïcité stricto sensu n’est imposée qu’aux entreprises publiques. Dans le privé, il est encore difficile d’y voir clair ! À titre d’exemple, la saga judiciaire de la crèche Baby-Loup qui s’est achevée le 25 juin 2014 par le licenciement de la directrice adjointe qui refusait d’enlever son voile. La Cour de cassation justifiait alors sa position par la nature des tâches à accomplir par les salariées.
La loi ne serait-elle pas assez précise ? Ou bien, les juges resteraient-ils frileux face à un sujet aussi épineux ? Un début de clarification semble transparaître si l’on examine l’approche récente des magistrats de l’UE.
Une affaire belge et une affaire française
Dans l’affaire belge, Mme Achbita avait été engagée comme réceptionniste par l’entreprise G4S. À l’époque de son embauche, une règle non écrite interdisait aux travailleurs de porter des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses. Trois ans après son embauche, Mme Achbita s’est mise à porter le foulard islamique. En réponse à cette attitude, l’entreprise a modifié son règlement intérieur et y a inséré la règle suivante : « il est interdit aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle ». Mme Achbita a été licenciée pour non respect de cette réglementation. Elle a contesté son licenciement devant la Cour de cassation belge.
Dans l’affaire française,Mme Bougnaoui a été engagée en 2008 en CDI en qualité d’ingénieur d’études au sein de la société Micropole. Elle portait un foulard islamique au moment de son embauche. À la suite d’une plainte d’un client, Micropole lui a demandé de ne plus porter son voile. La salariée s’y est opposée et a été licenciée.
La neutralité religieuse exigée
L’interdiction de porter un foulard islamique découlant d’une règle interne générale d’une entreprise privée constitue t-elle une discrimination directe ?
Dans l’affaire belge, la Cour répond par la négative. D’après elle et au sens de l’article 2 de la directive, la règle interne en cause n’instaure pas de différences de traitement entraînant une discrimination directe. En effet, le règlement concerne tous les salariés peu importe leur religion. La Cour met toutefois en garde contre les discriminations indirectes si une règle d’apparence neutre entraine un désavantage particulier « pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données ». Dans le cas échéant, l’employeur doit démontrer poursuivre un objectif légitime.
En clair : le règlement intérieur d’une entreprise peut donc instaurer une neutralité religieuse sans créer de discriminations directes.
La loi française avait pris les devants avec son article L 1321-2-1 du Code du travail, issu de la loi dite Travail du 8 août 2016. Elle semble s’inscrire dans la même voie que l’Union européenne précisant qu’un règlement intérieur peut prôner la neutralité tout en restreignant la manifestation des croyances pour les nécessités du fonctionnement de l’entreprise.
La liberté religieuse passe avant le client
Le respect du souhait du client peut-il quant à lui être considéré comme une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » ?
Négatif encore pour la Cour : en l’absence d’une règle interne à l’entreprise, la volonté d’un client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard n’est pas considérée comme une exigence valable. Elle ne l’est même que dans des conditions très limitée. L’expression le « client est roi » perd donc ici tout son sens, la liberté religieuse prime sur sa volonté.
Reste à savoir comment les entreprises et les juridictions nationales recevront les décisions de la Cour. Force est de constater que la question de l’appartenance confessionnelle des salariés en entreprise demeure encore délicate à aborder. En dépit des progrès du multiculturalisme, la société semble hésitante à s’emparer du sujet. En ce sens, une clarification de la notion d’ « éxigence professionnelle essentielle et déterminante » pourrait peut-être faire avancer le débat.
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