« D’un coup de stylo, Donald Trump a placé une hypothèque sur les politiques en faveur des femmes ». Pour la députée autrichienne Angelika Mlinar, le décret signé par le Président des Etats-Unis le 23 janvier 2017 est lourd de sens. Plus qu’à réaliser des économies, il viserait à remettre en question les droits des femmes.
Le mémorandum incriminé coupe court à tout financement américain aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères pratiquant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou informant sur ses modalités. Des actions humanitaires pourtant salutaires en Afrique, en Asie et en Amérique latine, évitant à de nombreuses femmes de se retrouver dans des situations de détresse par manque de moyens financiers, d’accompagnement ou d’informations.
Cette politique mise en vigueur par M. Trump est surnommée la « règle du bâillon mondial ». Du fait que les bénévoles de terrain doivent s’abstenir d’évoquer toute hypothèse d’avortement auprès de leurs interlocutrices, lorsqu’ils examinent avec elles les différentes options de planning familial. Un silence à respecter y compris lorsque la grossesse est liée à un viol, ou que la santé de la mère ou de l’enfant est en danger. Si l’ONG ne s’y conforme pas, elle risque de perdre les aides financières qui lui permettent de fonctionner.
Le décret pris par le Président des États-Unis amène à 600 millions de dollars la perte financière à venir pour les ONG concernées. Des députés européens souhaitent que l’Union compense ce manque à gagner, notamment par la défense de l’initiative « She Decides ». Actuellement alimenté à hauteur de 180 millions d’euros selon la députée belge Maria Arena, ce fonds est né de la volonté des États suédois, belge, néerlandais et danois. La collecte de dons (venant de gouvernements et de particuliers) a démarré le 28 janvier.
L’Union européenne est-elle dans son rôle en aidant à combler ce trou de 600 millions d’euros ? Pour Sophia in’t Veld au nom du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe : bien entendu. La députée néerlandaise s’est d’ailleurs engagée à proposer des amendements à la loi de budget de l’Union européenne (UE) pour prévoir le cadre d’une aide, et appelle ses codéputés à la soutenir en ce sens.
« L’enfer des avortements clandestins »
La majorité des orateurs interrogés ce mardi se sont positionnés en faveur d’une action de l’UE, et ont condamné le décret de M. Trump. Pour expliquer l’urgence de la situation, Anna Maria Corazza Bildt (PPE) raconte qu’à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes le 8 mars, elle a entendu l’histoire de deux jeunes femmes désespérées. En voulant avorter, l’une a été gravement blessée pour avoir tenté de le faire en s’enfonçant une antenne de télévision dans l’utérus, la seconde est morte après avoir ingéré des pesticides.
L’autrichienne Ulrike Lunacek avance un chiffre : les avortements non médicalisés représenteraient la deuxième cause de mortalité des femmes entre 15 à 19 ans. La députée française Constance Le Grip abonde en parlant du risque d’être « plongée dans l’enfer des avortements clandestins ».
Un autre argument régulièrement avancé – dans l’hémicycle mais aussi dans la société civile – est que la volonté d’un seul homme ne devrait pas influer sur la santé de millions de femmes. La fameuse photo de Donald Trump signant le décret dans le bureau ovale, uniquement entouré d’hommes, a ajouté au malaise. Pour Linda McAvan (S&D), « il n’est pas juste que l’accès des femmes au planning familial devienne un football politique (…) Une personne décide de droits qui ne la concerne pas : ce sont les femmes les plus pauvres du monde qui paieront les pots cassés ». Après avoir rappelé la place prépondérante du choix de la mère et la nécessaire prise en compte de son état de santé, Christos Stylianides va plus loin : « C’est aux médecins qu’il faut laisser le choix de la meilleure façon de traiter les femmes et les jeunes filles. Ce n’est pas aux avocats qu’incombe cette mission ».
Défense de l’autonomie des Etats-Unis et arguments « pro-vie »
La dénonciation du décret n’a pas été partagée par l’ensemble des orateurs présents cet après-midi. Faisant fi de leurs conséquences internationales, le député britannique Raymond Finch souhaite que l’UE se tienne à l’écart des décisions américaines : « Chaque pays a le droit de dépenser l’argent de ses contribuables comme bon lui semble ». La députée française Marie-Christine Arnautu persiste et signe, mettant en avant la souveraineté des Etats-Unis : « Il appartient au gouvernement américain de décider de ses propres critères de financement des ONG ».
À plusieurs reprises, les arguments « pro-vie » ont aussi émergé dans le débat. La députée Arnautu, membre en France du Front national, ajoute à son raisonnement : « À l’heure où près de 50 millions d’avortements sont pratiqués chaque année à travers le monde, la réduction du recours à l’avortement devrait réellement devenir un objectif de santé publique ». Une vague d’avortements que Marek Jurek (ECR) qualifie « d’industrie de la mort », tout en félicitant les Etats-Unis d’avoir pu la « bloquer ».
Au nom du Groupe des Conservateurs et réformistes européens, Branislav Škripek aura surement eu la plus virulente diatribe anti-avortement, parlant de « génocide », et d’une nécessaire « défense de ceux qui ne peuvent se défendre, ceux qui ne sont pas encore nés ». Il terminera son intervention en déclarant que « l’avortement, c’est tuer un enfant ». Face à ce glissement du débat, Anna Maria Corazza Bildt argue qu’« il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’avortement, mais de législation humanitaire. »
Les conséquences de ce décret, potentiellement sans précédent
La règle du bâillon mondial n’a pas été imaginée par Donald Trump. Elle date en réalité de 1984, date à laquelle le Président conservateur Ronald Reagan annonce une suspension des financements américains à destination des ONG aidant aux avortements. Cette déclaration a été prononcée à Mexico, d’où un autre qualificatif à la règle du bâillon mondial : la « politique de Mexico ».
Depuis, cette coupure des aides a été systématiquement abrogée par les présidents démocrates, et réinstaurée sous les présidences républicaines. Pour la dirigeante de l’ONG Women’s Health Coalition, le décret pris par Donald Trump pourrait avoir des effets encore plus dévastateurs que lors des précédentes administrations conservatrices. En fonction des prochains règlements d’application, l’ensemble du budget américain lié aux initiatives de santé à l’étranger pourrait être placé sous la règle du bâillon, et plus seulement l’enveloppe pouvant être allouée au planning familial.
Résultat : toute ONG travaillant à la prévention ou au traitement d’autres problèmes de santé à l’étranger (VIH, paludisme, virus Zika…) devra prendre garde à ce qu’aucun pan de son programme n’aide ou n’informe sur l’IVG. Sous peine, pour elle aussi, de perdre toute aide américaine nécessaire à son fonctionnement.
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