À la fois intensément nationale et infiniment locale, la bataille de 2012 pour la conquête des circonscriptions a présenté beaucoup de caractéristiques instructives : la tentation toujours vive du refuge dans l’abstention, la difficile question des alliances à droite, la méfiance grandissante vis-à-vis des “parachutés” issus de l’appareil des grands partis, “l’effet laminoir” du scrutin majoritaire, les progrès vaille que vaille de la parité hommes-femmes et du rajeunissement de la représentation nationale… Ajoutons encore l’annonce d’empoignades municipales futures et le désir, pour nombre de candidats, de “prendre date” à cet effet. Ce tour d’horizon forcément sélectif n’a qu’un but : montrer que les choses sérieuses ne se jouent pas qu’à Paris.
Aquitaine. La défaite de personnalités majeures comme François Bayrou et Michèle Alliot-Marie ont constitué les évènements les plus commentés. Pour le premier, le fait de se trouver pris en étau entre une gauche qui n’a pas voulu tenir compte de son choix personnel en faveur de François Hollande et une droite de stricte orthodoxie sarkozyste ne constituait pas une nouveauté. C’était, à peu de chose près, le schéma difficile auquel il avait toujours été confronté. Mais la stratégie de radicalisation des camps introduite par la campagne droitière du président sortant s’est révélée fatale à celui qui, une nouvelle fois engagé dans la bataille pour l’Élysée, entendait plus que jamais en 2012 envoyer des coups de boutoir dans le “mur de Berlin” séparant en France la gauche de la droite. La sortie dans l’honneur de François Bayrou, vaincu par les crispations partisanes du moment, n’est donc pas de celles qui puissent être considérées comme définitives dans une longue carrière politique loin d’être terminée.
Michèle Alliot-Marie, pour sa part, n’en fini pas de payer ses catastrophiques vacances tunisiennes, alors que le pouvoir de Ben Ali vacillait, flanquée de son compagnon Patrick Ollier (bien réélu quant à lui dans les Hauts-de-Seine) et de son père, l’ancien député Bernard Marie. L’ensemble basco-béarnais, du coup, a envoyé trois nouvelles femmes socialistes à l’Assemblée rejoignant la députée-maire de Pau Martine Lignières-Cassou : Nathalie Chabanne, “tombeuse” de Bayrou, Sylviane Alaux, victorieuse de Michèle Alliot-Marie et Colette Capdevielle, rivale heureuse du maire de Bayonne Jean Grenet. Si l’on ajoute à ces victoires celle de l’ancienne collaboratrice de François Hollande Frédérique Espagnac aux sénatoriales de l’automne 2011, on constate que les Pyrénées-Atlantiques ne sont plus le “fief de machos” parfois dépeint. Une présence masculine est toutefois assurée par David Habib, maire PS de Mourenx, réélu au premier tour et par l’ami de François Bayrou, Jean Lassalle, Modem, qui doit sans doute sa réélection dans la plus grande circonscription de France au fait d’être resté taisant pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle.
Dans les Landes et la Dordogne, le “grand chelem” socialiste confirme l’installation durable de la gauche sur cette région naguère marquée par les subtils équilibres de l’ère chabaniste et qui ne compte plus qu’un député UMP, le maire d’Arcachon Yves Foulon.
Auvergne. L’ancienne région de Valery Giscard d’Estaing augmente sa représentation de gauche, notamment dans le Cantal où seul Alain Marleix, UMP, proche conseiller de Nicolas Sarkozy et père d’Olivier (élu en Eure-et-Loir) a tiré son épingle du jeu dès le premier tour. Dans l’Allier, les premiers magistrats UMP des trois chefs-lieu d’arrondissement (Moulins, Vichy et Montluçon) ont été affaiblis par ce scrutin qui a vu leurs traditionnels opposants de gauche reconquérir leurs sièges avec de bons scores dans les villes. De quoi inciter ces maires à placer tous leurs espoirs dans un retour de balancier aux prochaines municipales… En Haute-Loire, en revanche, deux élus de droite s’imposent, dont l’ancien ministre Laurent Wauquiez passé très prés d’une victoire au premier tour. Le Puy-de-Dôme, marqué par le socialisme SFIO (à l’exception de la bourgeoise cité de Chamalières, passée à gauche avec l’écologiste Danielle Auroi), reste une terre de gauche où le député communiste André Chasseigne (à Thiers), figure du Parlement, n’a pas rencontré de vraies difficultés.
Bourgogne. La Côte d’Or est restée pour l’essentiel à droite mais à Dijon le dauphin désigné du dirigeant socialiste François Rebsamen, Laurent Grandguillaume s’est imposé face au sortant Bernard Depierre (UMP). La Nièvre s’est montrée fidèle à l’héritage de François Mitterrand et de Pierre Bérégovoy en confirmant la présence au Palais-Bourbon de deux socialistes, Martine Carrillon-Couvreur et Christian Paul. Les cinq sièges de Saône-et-Loire sont désormais occupés par la gauche, dont trois conquis sur les sortants UMP Jean-Marc Nesme, Gérard Voisin et Jean-Paul Anciaux. Le soutien du président du conseil général Arnaud Montebourg, devenu membre du gouvernement, a payé.
Dans l’Yonne, la succession politique de Jean-Pierre Soisson (giscardien puis ministre de François Mitterrand) à Auxerre est recueillie par Guillaume Larrivé, proche de Brice Hortefeux, qui a réussi son implantation législative, notamment grâce à un appel du FN à voter pour lui au premier tour. Le maire socialiste d’Auxerre, Guy Férez, ne s’est pas imposé sur l’ensemble de la circonscription tout en étant majoritaire dans sa ville. Son duel avec le “jeune loup” de l’UMP se poursuivra sans doute aux municipales.
Bretagne. Dans le département des Côtes-d’Armor, la gauche avait connu des jours meilleurs en 1981, 1988 et 1997. L’UMP Marc Le Fur l’a empêchée cette fois-ci de réaliser un “grand chelem” en s’offrant le luxe d’améliorer ses résultats par rapport à 2007. Ce qui prouve que le travail de terrain peut constituer un solide rempart lorsque les vents sont contraires. À signaler une illustration presque parfaite du caractère illusoire de certains accords électoraux : la circonscription de Guingamp réservée à EELV a finalement été enlevée par une candidate dissidente et exclue du PS, Annie Le Houerou.
Dans le Finistère, où huit députés sur huit sont maintenant de gauche, Marlyse Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, a été réélue très largement à Morlaix ainsi que la personnalité montante du PS en Bretagne, Jean-Jacques Urvoas, élu de Quimper, dont le nom fut cité pour le ministère de l’Intérieur avant que celui de Manuel Valls ne s’impose. Le PS a souffert en Ille-et-Vilaine d’un grave conflit interne très peu médiatisé sur le plan national. Le sortant Jean-Michel Boucheron, dont la circonscription a été redécoupée, n’a pas obtenu d’investiture et s’est présenté sans succès, en rupture de parti, dans celle qui avait été attribuée, au nord de Rennes, à Marcel Rogement, également sortant. Élimine au premier tour, Jean-Michel Boucheron (à ne pas confondre avec son homonyme de Charente, dont les exploits judiciaires ont défrayé la chronique dans les années 1990) ne reviendra pas au palais Bourbon. C’est une page qui se tourne. Elu pour la première fois en 1981, il avait fait partie avec Edmond Hervé des premiers députés socialistes bretons de l’ère mitterrandienne. Il a accompli sept mandats et s’est notamment distingué auprès de ses collègues comme l’un des grands spécialistes des dossiers touchant aux armées, en tant que président puis rapporteur de la commission de la Défense nationale.
Centre. Cette région fait partie de celles où les voix du Front national, faute sans doute de leadeur médiatique, se sont reportées sans trop de difficultés sur les candidats de l’UMP ou du Nouveau Centre. C’est ce qui explique notamment la bonne tenue de la droite sur les quatre circonscriptions d’Eure-et-Loir. Ainsi, Olivier Marleix a-t-il pu s’imposer pour la première fois sur la circonscription de Dreux où il a été parrainé par le sortant Gérard Hamel. maire d’Anet, élu cantonal et ancien directeur général des services du Conseil général. Il n’en avait pas moins une solide implantation. En Indre-et-Loire, l’évènement marquant est la chute d’Hervé Novelli, ancien membre du gouvernement Fillon et connu pour avoir été le père du statut de l’auto-entrepreneur. Ce libéral bon teint, proche d’Alain Madelin, a été battu par le socialiste Laurent Baumel. En Loir-et-Cher, l’ancien ministre de la ville Maurice Leroy retrouve son siège de député sous une nouvelle étiquette, celle de l’Alliance radicale. Venu du Parti communiste, cet élu atypique désormais très implanté à Vendôme, président du Conseil général de son département, présente la particularité d’avoir été très proche du RPR Charles Pasqua avant de rejoindre François Bayrou à l’UDF qu’il quitta entre les deux tours de la présidentielle de 2007 pour suivre Nicolas Sarkozy avec Hervé Morin lors de la création du Nouveau centre. Dans le Loiret, la socialiste Valérie Corre est la première représentante du département issue de la gauche depuis dix-neuf ans !
Rhône-Alpes. Le cas très spécifique de la première circonscription du Rhône mérite quelque attention. Le député sortant Michel Havard (UMP) a été battu au deuxième tour par Thierry Braillard (PRG) qui était arrivé en tête devant le candidat Philippe Meirieu, chercheur et écrivain célèbre pour ses travaux sur la pédagogie, qui se présentait sous l’étiquette EELV avec le soutien déclaré du PS parisien. Cette investiture résultant d’un accord national a irrité le sénateur-maire de Lyon Gérard Collomb, président de Lyon-Métropole, qui a mis tout son poids dans la campagne en faveur du “dissident” Thierry Braillard et celui-ci a été élu sans coup férir. Une situation emblématique de l’influence des grands leadeurs régionaux du PS en général et… de celle de Gérard Collomb en particulier !
L’ancien président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer, maire UMP d’Annecy, n’a pas été vraiment menacé chez lui : les six circonscriptions de Haute-Savoie sont restées dans le giron de l’ex-majorité présidentielle. En Savoie, le président du Conseil général et ancien ministre UMP Hervé Gaymard a signé sans difficulté un nouveau bail tandis que dans l’Isère, la droite qui détenait trois sièges n’en a plus que deux. Progression socialiste enrayée, en revanche, dans la Loire (l’ancien fief de Jean Auroux, père des fameuses lois portant son nom) où Laure Deroche, maire PS de Roanne, n’est pas arrivée à s’imposer devant l’UMP Yves Nicolin.
PACA. À l’extrémité sud du “croissant fertile” de la droite (qui résiste mieux à l’Est et au Centre de la France qu’à l’Ouest), se situe la région PACA. Dans les Alpes-Maritimes, en dépit d’une présence plus que symbolique des candidats du FN, les élus UMP du courant “droite populaire” confirment leurs résultats de 2002 et 2007 en conservant les neuf circonscriptions du département. Même constat dans le Var, l’un des départements ayant le plus voté Sarkozy à la présidentielle. La palette est beaucoup plus nuancée, comme d’habitude, dans les Bouches-du-Rhône où les “affaires” comme la perspective des muni-cipales bouleversent les situations acquises. C’est ainsi que Maryse Joissains-Masini, maire UMP d’Aix-en-Provence, a du céder son siège de député au socialiste Jean-David Clot. L’échec de Renaud Muselier, ancien ministre et dauphin annoncé de Jean-Claude Gaudin à la mairie de Marseille a été cependant beaucoup plus commenté. Il a confirmé en effet l’ascension de Marie-Arlette Carlotti, ministre du gouvernement Ayrault, qui vient prendre place aux côtés de Patrick Menucci parmi les nouveaux acteurs d’une fédération socialiste marseillaise qui a plutôt bien résisté à la tempête créé par la mise en cause judiciaire du sénateur Jean-Noël Guérini, président du Conseil général. À Arles, l’ancien ministre socialiste Michel Vauzelle a été près de la défaite entre les deux tours après le désistement spectaculaire du candidat UMP Roland Chassain en faveur du Front national mais la forte mobilisation militante lui a permis de conserver son siège.
Picardie. Xavier Bertrand, grande figure du quinquennat sarkozyste, a sauvé son siège de justesse dans l’Aisne. Le maire de Saint-Quentin a résisté à la fois à la vague rose et à l’implantation durable du Front national dans ce département. Le succès de René Dosière à Laon est à marquer d’une pierre blanche. Ce socialiste sortant, grand pourfendeur du gaspillage dans les palais nationaux, n’avait pas reçu l’investiture de son parti au prétexte que le choix de son suppléant n’avait pas été soumis au vote des militants. Sa vive réaction lui a valu le soutien des électeurs contre l’appareil de son parti et il l’a emporté au terme d’une triangulaire.
À la fois intensément nationale et infiniment locale, la bataille de 2012 pour la conquête des circonscriptions a présenté beaucoup de caractéristiques instructives : la tentation toujours vive du refuge dans l’abstention, la difficile question des alliances à droite, la méfiance grandissante vis-à-vis des “parachutés” issus de l’appareil des grands partis, “l’effet laminoir” du scrutin majoritaire, les progrès vaille que vaille de la parité hommes-femmes et du rajeunissement de la représentation nationale… Ajoutons encore l’annonce d’empoignades municipales futures et le désir, pour nombre de candidats, de “prendre date” à cet effet. Ce tour d’horizon forcément sélectif n’a qu’un but : montrer que les choses sérieuses ne se jouent pas qu’à Paris.
Ile-de-France. Situation inédite à l’occasion de législatives : l’Ile-de-France a voté majoritairement à gauche, ce qui ne s’était encore jamais vu. Cela ne signifie pas pour autant la déroute de la droite qui n’a perdu aucun siège sur Paris intra-muros.
Face au généticien Axel Kahn, frère du journaliste Jean-François, l’ancien Premier ministre François Fillon a réussi l’implantation dans la capitale que la très sarkzyste Rachida Dati a, un temps, essayé d’empêcher. Il sera sans doute le leadeur incontournable de la future liste de droite partant à la reconquête de l’Hotel de ville lors des prochaines municipales. Mais Cécile Duflot, leadeur EELV et ministre en exercice, a signé au nord-est de la capitale un score impressionnant : un peu plus de 72 % des voix !
Deux élus de droite présentant une certaine ressemblance dans un style très opposé au “bling-bling” font aussi leur entrée au palais Bourbon sans tapage : François de Mazières, maire de Versailles et Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine. Ils n’ont pas fait leurs classes à l’UMP mais ils ont, par leur influence sur les mouvances “de tradition catho” de leurs fiefs respectifs, su s’imposer. Leurs tranquilles victoires ont été un peu éclipsées cependant par le succès du dissident Thierry Solère à Boulogne contre Claude Guéant et par l’arrivée de quatre députés PS dans les Hauts-de-Seine. Plus qu’un basculement droite-gauche, cette percée socialiste traduit plutôt un reéquilibrage à l’intérieur de la gauche au détriment des communistes membres du Front de Gauche qui ne sauvent qu’un seul de leurs trois sièges, celui de Jacqueline Fraysse à Nanterre. Dans le Val-de-Marne, le grand spécialiste des questions budgétaires Gilles Carrez (UMP) n’a pas été inquiété au Perreux, de même que Roger-Gérard Swartzemberg (PRG), qui retrouve son siège de Villeneuve-Saint-Georges. Ce département offre une belle mosaïque puisque l’UMP, le PS, le PRG, le MDC et EELV ont eu un ou plusieurs élus. Seul le Front de Gauche est absent, ce qui est pour le moins paradoxal pour ce qui fut l’un des grands fiefs communistes à l’époque de la “ceinture rouge” de Paris.
DOM-TOM. La victoire de Thierry Robert (MoDem) à La Réunion résulte de l’érosion du vote UMP dans l’ancienne île Bourbon. Il sera avec Jean Lassalle l’un des deux représentants du parti de François Bayrou dans l’hémicycle. Les autres circonscriptions sont allées au PS, dans un contexte local marqué par les querelles de personnes à droite. À Mayotte, la “légimité présidentielle” s’impose aussi tandis qu’en Nouvelle-Calédonie une nouvelle tendance “anti-indépendantiste”, distincte de l’UMP, se manifeste. Le parti de la droite modérée, “Calédonie Ensemble” envoie deux nouveaux députés dans l’hémicycle. Affaire à suivre… car ce changement traduit sans doute la nécessité, pour le pouvoir qui s’installe, de se pencher sur l’évolution politique, démographique et économique de l’archipel des antipodes.
À la Martinique, une progression du camp indépendantiste a pu être observée tandis qu’en Guadeloupe, le ministre de l’Outre-mer Victorin Lurel n’a pu faire élire le candidat qu’il soutenait. L’ancrage à gauche de l’île est néanmoins confirmé. De façon plus générale, sur les 26 sièges de l’Outre-mer, 18 seront détenus par la gauche dont deux au mouvement indépendantiste martiniquais.
Français de l’étranger. L’aménagement de onze sièges, gagnés par redécoupage des circonscriptions, destinés à représenter les Français de l’étranger a constitué l’une des innovations du dernier quinquennat. Il avait été dit un peu vite que cette réforme était entreprise avec l’arrière-pensée de conforter les positions de l’UMP. Les chiffres, en effet, étaient là : en 2007, le vote dans les ambassades avaient été massivement favorables à Nicolas Sarkozy. Il n’en a pas été de même cette fois-ci et le rejet de la droite (ou plutôt la bonne mobilisation à gauche de l’électorat expatrié) s’est révélée manifeste aux législatives. En temoignent des résultats plutôt inattendus. Seul l’ancien député de la Vienne Alain Marsaud a pu être élu sur l’étiquette de l’ancien parti majoritaire, sur le secteur Suisse-Lichtenstein. Frédéric Lefebvre, ancien porte-parole de l’UMP et ministre de Nicolas Sarkozy a été battu sur l’Amérique du Nord par Corinne Narassiguin (PS). Anne Monchamp, également membre de l’ancien gouvernement, n’a pu s’imposer face à Philipp Cordery au Bénélux. Seule donnée conforme aux prévisions : le chiffre de l’abstenton qui a oscillé entre 73% et 84% selon les zones géographiques.