Le 14 mai dernier, la maison royale de Bourbon-Siciles représentée par son chef, Charles, duc de Castro, a décidé l’abrogation de la loi salique. L’événement, en pleine campagne du Brexit au Royaume-Uni, est passé un peu inaperçu en Europe en dehors des multiples cercles royalistes, lesquels présentent la particularité d’être souvent rivaux et divisés. Ce n’est pas une mince affaire, pourtant. Non seulement la démocratie parlementaire n’empêche pas de vieilles et solides nations européennes, comme la Grande-Bretagne, la Suède, les Pays-Bas et l’Espagne, d’être restées des monarchies, mais saison jamais “ce que le passé nous réserve”, pour reprendre la jolie formule de Françoise Sagan ? Qui peut exclure qu’au terme de catastrophes que nul ne souhaite, des pays comme la France ou la Russie ne renoueront pas un jour avec les principes de la royauté héréditaire ?
A la chute de Napoléon Ier, qui avait essayé de créer sa propre dynastie, Talleyrand, encouragé financièrement par les Anglais, avait réussi à faire “avaler” au Sénat le retour des Bourbon sur le trône de France. Rendus riches par le négoce des biens nationaux confisqués à l’ancienne noblesse, ennoblis par l’Empereur pour quelques uns, les conventionnels fatigués qui avaient voté la mort de Louis XVI, rescapés de la Terreur, songeaient à transmettre leurs biens à leurs enfants et petits-enfants. “Quoi de mieux qu’une vieille maison capétienne héréditaire, leur avait dit “le Diable boiteux”, pour organiser droit de propriété et successions…”. En politique, tout est dans l’art de la présentation, le “story telling”, comme on ne disait pas sous Louis XVIII. Il faut savoir parler, de toute éternité, au coeur des représentants du peuple sans négliger leurs intérêts immédiats. On ne trouve pas cependant un Talleyrand à tous les siècles. Rêvant de ceindre la couronne de ses ancêtres, feu l’ancien comte de Paris, naïvement semble-t-il, avait placé quelque espoir dans le Général de Gaulle qu’il envisageait de nommer “Grand connétable”. Il est probable que l’homme qui “vendra le retour de la monarchie” aux Français républicains d’aujourd’hui n’est pas encore né. Et heureusement. Car un tel événement serait assez compliqué à régler aujourd’hui, ne serait-ce qu’au regard du…droit européen ! A moins que l’on ne rêve de faire coïncider le retour de la monarchie avec la fin de l’édifice juridique communautaire…
Quel que soit le scepticisme teinté d’ironie avec lequel elle a été accueillie, la décision de Charles des Deux-Siciles présente le grand mérite de nous montrer que les lois fondamentales du royaume de France, dont les monarchistes font toujours grand cas, ne correspondent pas aux règles de l’UE. Celles-ci disposent qu’aucune discrimination entre hommes et femmes ne peut être pratiquée dans “l’exercice des charges et fonctions publiques”. Autrement dit, il s’agit d’un domaine où le Royaume-Uni se montre spectaculairement plus européen que la France, du moins dans sa tradition
monarchique. Par tout l’éclat de son règne, la reine Elisabeth II illustre à 90 ans la stupidité des préjugés sur l’accès des femmes aux responsabilités. Margaret Thatcher, à la tête du gouvernement, avait aussi incarné cette belle disposition britannique. De façon plus longue et marquante que ne put le faire chez nous Edith Cresson, seule femme ayant occupé Matignon chez nous à ce jour… Demain, peut-être, en succédant à David Cameron, Théresa May reprendra le flambeau. Mais c’est une autre histoire, politique et contemporaine, qui n’a pas grand chose à voir avec la vénérable question de la légitimité royale.
Les deux prétendants français
Les cours, modernes et organisées, de Suède, d’Espagne et de Belgique se sont “mises en conformité”. A Stockholm, les descendants du maréchal français Bernadotte (Béarnais adopté par le roi Charles XIII et devenu fondateur de dynastie) ont pratiqué la “loi salique” écartant les femmes jusqu’à une époque très récente avant de la rayer de leur législation. Ce qui fait que le prince héritier Carl- Philip a été “rétrogadé” (il semble s’en être consolé) et n’occupe plus que la deuxième place dans la succession derrière sa soeur aînée Victoria. En Espagne, la loi salique reste une question très douloureuse car elle a provoqué de véritables guerres civiles au XIXe siècle au sein de la branche des Bourbons, descendants d’Henri IV et de Louis XIV. La lignée masculine, issue de Charles de Bourbon, s’est opposée à la ligne régnante, issue d’Isabelle, reine d’Espagne, et de son mari le roi consort François d’Assise de Bourbon. Les carlistes
n’acceptaient pas la succession féminine. Au nom de la loi salique, ils organisèrent plusieurs guerres civiles. La branche carliste s’est éteinte en 1936, Alphonse XIII, devenant le nouvel aîné des Bourbons d’Espagne. Le problème espagnol est particulier car on pratique à Madrid non pas la “loi salique” mais la règle dite “agnatique” : les femmes ne sont pas écartées de la succession mais, même lorsqu’ils sont plus jeunes, leurs frères ont priorité sur elles. Est-ce que la Cour européenne de Justice du Luxembourg se satisferait de cette demi-mesure en cas d’éventuel litige un de ces jours ?
Beaucoup de juristes espagnols ne le pensent pas et pressent le gouvernement de mettre en chantier une réforme constitutionnelle à ce sujet. Le gouvernement de Mariano Rajoy considère de son côté qu’il a d’autres chats à fouetter.
En France, il n’y a pas d’urgence puisque nous vivons en République.
Mais les choses n’en sont pas moins compliquées et la décision des Bourbons-Siciles du 14 mai dernier ( jour anniversaire de la mort d’Henri IV, premier des Bourbons), réveille sur les blogs monarchistes quantité de polémiques liées à la loi salique. Les Bourbon- Siciles ne “prétendent” qu’au Royaume des Deux-Siciles, c’est à dire la région sud de l’Italie dont les principales villes sont Naples et Palerme. Mais le prétendant actuel est cousin par de multiples branches
de nos deux prétendants actuels au trône de France, le duc d’Anjou, chef de la maison dite “légitimiste” et Henri d’Orléans, comte de Paris, chef de file de “la maison de France” découlant de la succession de Louis-Philippe, le dernier de nos monarques qui a régné sous le titre de “Roi des Français”. Les partisans de ces deux lignées sont à couteaux tirés depuis des lustres et s’envoient des joyeusetés à la figure. Les “légitimistes” affirment que les “orléanistes” descendent d’un régicide qui a voté la mort de Louis XVI (Philippe-Egalité). Les “orléanistes” estiment que le duc d’Anjou descend des “Bourbons d’Espagne” qui ont renoncé au trône de France dès le traité d’Utrecht (1713) lorsque le petit-fils de Louis XIV est devenu roi d’Espagne sous le nom de Philippe V. Ils ajoutent que l’actuel duc d’Anjou (Louis XX de France, pour ses partisans) n’est autre que l’arrière-petit-fils par les femmes du dictateur Franco et que ce n’est pas un gage de monarchie libérale. Cela se discute. Le général Franco n’était pas un tendre mais il a permis l’avènement du roi Juan Carlos qui symbolisa, à la fin des années 70, l’accès de ses sujets aux libertés publiques et leur entrée dans l’Europe politique. En dépit de tout ce qui les sépare, les deux familles candidates au titre de “roi de France” semblent d’accord pour ne pas être pressées de faire disparaître de nos “lois fondamentales du royaume” la loi salique, disposition pourtant jugée “opportuniste” par de nombreux historiens. “Une invention des chats fourrés, les vieux magistrats du Parlement de Paris” disait à ce sujet l’un d’entre eux, Hubert Monteilhet. Ce fut en effet , comme toujours, pour des raisons politiques que l’on fit usage de ce texte issu du vieux droit issu des “francs saliens”, tiré de son contexte (la succession des propriétés agricoles) pour lui donner un caractère institutionnel. A chaque fois, il s’agissait d’écarter une “petite reine” du pouvoir pour des raisons variées. La dernière application spectaculaire — dont toute la lignée Bourbon est issue en France, en Italie du sud et en Espagne — se produisit à la mort d’Henri III (1589), le dernier des Valois. Marguerite, fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, soeur de trois rois défunts, aurait du régner à la place de son cousin et mari (détesté) Henri de Navarre, capétien descendant de Saint-Louis. Mais la reine Margot (chère à Alexandre Dumas et au cinéaste Patrice Chéreau) avait le tort d’être une femme…
Copyright image : © JBVNEWS/Vernier