Le général de Gaulle disait qu’il voulait l’Angleterre « toute nue » dans le Marché commun, entendons par là sans les américains. Quant à Valéry Giscard d’Estaing et son si caractéristique accent chuintant, chaque fois qu’il prononçait le nom de Shakespeare, on croyait qu’il s’exclamait « j’expire ». Le Brexit ne fera expirer ni la Grande-Bretagne ni l’Union européenne mais disons qu’il réveille chez les Français vis-à-vis des Anglais un sentiment d’exaspération ancestrale. Ces gens qui ont à la fois brûlé Jeanne d’Arc (avec l’aide de quelques Français) et laissé mourir Napoléon à petit feu nous créent des difficultés nouvelles en cherchant à quitter la table sans payer la note. Car ne nous y trompons pas. L’addition risque d’être sévère, tout particulièrement pour la France. On dira tout ce que l’on voudra, demain et après-demain, sur ce que l’Europe a fait ou n’a pas fait et sur ce que les Anglais ont osé, sur les dimensions historiques, culturelles, etc…de l’événement, une évidence première commande de remarquer qu’il y a un budget européen alimenté en recettes par trois gros contributeurs : l’Allemagne au tout premier rang et, assez loin derrière, la Grande-Bretagne et la France, presque à part égale puisque nos amis d’Outre-Manche avaient déjà négocié un « rabais », sous peine de s’en aller.
Le très actif sénateur Albéric de Montgolfier, rapporteur général des Finances à la chambre haute, avait calculé début juin que l’augmentation de la cotisation de la France pourrait devenir vertigineuse (de l’ordre de plusieurs milliards d’euro) en cas d’arrêt total des versements britanniques. On n’en est pas là, heureusement. Les dirigeants du Royaume-Uni, même s’ils changent à l’automne prochain, sont comme les autres. Ce ne sont pas des magiciens et ils auraient beaucoup de mal à réintroduire du jour au lendemain les sommes attendues de l’Union européenne dans nombre de secteurs de leur économie même en y affectant les crédits initialement destinés au pot commun. Il va falloir discuter et négocier longtemps parce que tous ceux qui connaissent un tant soit peu les rouages de l’Europe savent qu’il y a, pour les pays associés, des formules d’adhésion dites « bilatérales » dont bénéficient notamment, avec des statuts différents, la Norvège et la Suisse. Les partisans, victorieux, du Brexit ne sont pas tous fous ou victimes, comme lady Mac Beth, d’un sortilège des sorcières. Ils rêvent d’un système qui leur procurerait à moindre coût le maximum d’avantages. C’est humain et ce n’est pas nouveau. L’Europe fédérale et intégrée ne les a jamais intéressés. Dans deux ou trois générations, peut-être évolueront-ils, à condition que la perspective – qui ne tente d’ailleurs plus grand monde sur le continent – soit un jour bien présentée. Mais c’est trop tôt.
On se gardera donc de toute colère anglophobe. Non seulement les inventeurs de l’habéas corpus et de la mini-jupe ont toujours assuré, à nos côtés, sur le plan militaire mais ils ont aussi l’art de présenter les choses de façon pragmatique et de faire croire qu’ils forment le peuple le plus démocratique de la terre. Accordons leur ce talent que nous n’avons pas. La seule chose d’un peu bizarre, c’est que la recommandation très insistante de Barack Obama à ne pas se laisser séduire par le Brexit, dans son discours de Hanovre, soit restée sans écho au Royaume-Uni. Il y a là quelque chose d’inhabituel car, même dressés sur les ergots de leur sacro-sainte souveraineté, nombre de sujets de Sa gracieuse Majesté restent en général très attentifs aux avis de Washington. On pourrait y voir un signe dépassant la seule Grande-Bretagne et son mal-être européen: une confirmation supplémentaire de la nostalgie occidentale d’un âge d’or conciliant autarcie et prospérité, lequel n’a d’ailleurs jamais vraiment existé, sauf en Suisse mais tout le monde ne peut pas être Suisse. Dans ce cas, le Brexit ne serait pas sans lien avec la popularité grandissante de Donald Trump aux Etats-Unis…