Par la simplicité de ses couplets, la si belle chanson de Jacques Brel a apporté un vrai hommage aux victimes. Après le traumatisme national du vendredi 13 novembre, le vertige nous saisit en considérant tout ce qui a pu être dit et écrit. Rien de plus normal, au demeurant, dans le constat que la douleur et l’angoisse conduisent à des flots de verbalisation intensive. De ce deuil, vécu à des échelles différentes selon que l’on soit blessé, parent de victimes, proche de certaines d’entre elles, secouriste ou simple téléspectateur, il faudra accomplir « le travail » à divers degrés de psychothérapie. Il n’y a rien de pathologique, cependant, dans l’effroi qui a saisi une majorité de Français, même lorsqu’ils n’ont pas été touchés par la tragédie dans leurs amitiés ou leurs affections. Les émotions sont humaines et il est collectivement sidérant de découvrir qu’un pays comme le nôtre peut se trouver l’objet de tant de haine, y compris dans le cerveau malade de jeunes grandis en son sein et conditionnés pour passer de la délinquance à une culture de mort consistant à tuer avant de se tuer.
On aimerait pouvoir se dire que l’Etat devrait nous protéger de ce spectre en échange des impôts et taxes que nous acquittons chaque jour, ne serait-ce qu’en faisant le plein d’essence ou en payant nos achats au supermarché. Malheureusement, aucune société n’a jamais pu se garantir contre les tueurs fous et, à lui tout seul, le sinistre Anders Breivik a tué 77 personnes dans une paisible île de Norvège il y a moins de cinq ans. Le terrorisme fondamentaliste s’est fait une spécialité de la manipulation des psychopathes ou rendus tels. Il entend ainsi creuser, grâce à eux, une tranchée sanglante infiniment plus large que celles qu’ont laissé l’IRA, l’ETA et les Brigades rouges – et l’on pourrait en citer d’autres – sur la vieille terre de nos démocraties. Il s’agit, autrement dit, de la plus diabolique des synthèses mortifères. D’un cancer qui ne se terrassera pas par la seule élimination de Daesh – bien que celle-ci soit indispensable – car ses métastases subsisteront en bien d’autres endroits.
La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non faire la guerre puisqu’on la fait, au Sahel comme en Syrie et jusque sur notre propre territoire, grâce à l’admirable courage des membres de l’armée et de la police. Mais, de plus en plus, avec qui ? Les Américains et les Russes se regardent en chien de faïence, l’Iran, la Turquie et les monarchies pétrolières – sur fond de guerre religieuse entre chiites et sunnites, eux-mêmes subdivisés en clans rivaux – ont des intérêts respectifs, particuliers et divergents. Il y a fort à parier que le marathon diplomatique de François Hollande ne s’achève par le constat que l’on ne peut compter sur personne ou pas grand monde. Même si, bien entendu, cela ne sera pas présenté ainsi. A court terme, il n’y a qu’une vraie solution : que l’Europe de la défense sorte des limbes et qu’elle fasse enfin peur, afin que les terroristes redoutent de voir les forces françaises, allemandes et britanniques coalisées leur tomber dessus à bras raccourcis. Si cela ne se fait pas, alors il ne nous restera, comme dans la chanson, que l’amour à offrir en prière pour les maux de la terre.
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