Venant très vite après un redécoupage qui n’est pas forcément entré dans tous les esprits, la campagne des régionales aura montré à quel point il est difficile en France de situer le débat démocratique à un niveau autre que national. Dans un Etat aussi centralisé que le nôtre, les mille et un éléments constituant l’actualité au fil des jours conduisent les citoyens à observer et à prendre position sur ce qui se joue à Paris. Cette politisation uniforme prend le pas sur tout, y compris sur des enjeux qui devraient être forcément différents d’un territoire à l’autre. Ce n’est pas nouveau. Déjà , en 2004 et 2010, des « vagues de fond » en faveur de la gauche avaient donné à la carte de la France régionale un aspect trop monocolore pour être tout à fait représentatif de la nature exacte des courants et tensions à l’oeuvre autour des acteurs régionaux censés agir au plus près des réalités. Cette fois-ci, le phénomène jouera au bénéfice de l’opposition de droite, avec la complication nouvelle née de l’installation un peu plus marquée du Front National dans certaines régions, constitutive d’un « tripartisme ». Cette donnée met un peu plus à mal le rêve, longtemps entretenu à droite comme à gauche, d’une « bipolarisation » simplifiant notre vie politique à coup d’alternances tranquilles.
L’actuelle majorité présidentielle a réussi, tant bien que mal, à faire bouger un peu les choses en matière de représentativité territoriale. Les «grandes régions» et «grands cantons», la limitation du cumul des mandats – dont on ne verra pas les effets avant plusieurs mois – et surtout la fusion des agglomérations, ainsi que la création confirmée des métropoles, apportent quelques changements en principe rationnels. Mais la lisibilité des niveaux de décision et de compétences reste très imparfaite aux yeux des Français qui redoutent surtout qu’un désengagement de l’Etat vis-à -vis de leurs collectivités locales se traduise par moins de services publics, notamment dans les zones à l’écart des grands centres. Un même scepticisme va grandissant, d’ailleurs, pour ce qui concerne le niveau européen. Il est devenu très difficile de savoir vers quoi s’oriente la construction communautaire alors même qu’un pays comme le nôtre, membre de la zone euro, dépend étroitement de ses partenaires pour ce qui concerne sa monnaie, ses marchés agricoles et quantité de choses affectant beaucoup plus la réalité quotidienne qu’on ne le croit. De là des peurs sur lesquels certains n’ont aucun mal à capitaliser des suffrages…
Une « pédagogie du bon niveau », associée à une réforme fiscale mettant de l’ordre dans les prélèvements multiples, serait plus que nécessaire. VÅ“u pieux qui intéressera peut-être un ou plusieurs candidats à l’élection présidentielle prochaine… Tant il est vrai que c’est cette compétition qui semble, une fois de plus, concentrer toutes les imaginations et énergies. Le Parlement, les collectivités territoriales et les institutions européennes n’en cesseront pas pour autant d’exister. Cela justifierait une attention citoyenne et médiatique au moins égale à celle qui est accordée à la lutte pour le fauteuil élyséen.