Vous avez publié en l’an 2000 « Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation ». Quinze ans plus tard, quelles sont les cartes de la France ?
Elles restent innombrables, le potentiel de la France est énorme, et les Français le sous-estiment. Mais la France reste handicapée par son manque de confiance en soi et un pessimisme systématique devenu pathologique, ce que j’ai développé dans « La France au défi », publié en 2014. Et plombée par son incapacité à se réformer vraiment, sauf si notamment le rapport Combrexelle était entièrement mis en œuvre !
En quoi la crise des migrants met-elle en lumière les contradictions ou les limites de l’action européenne?
C’est un choc brutal qui fait voler en éclats bien des mythes. Mais on attend toujours des miracles de « l’Europe », mot valise et incantatoire, ce qui nous déresponsabilise, et engendre par déception l’euro-lassitude, ou le scepticisme. Ce que vous appelez les « limites », c’est la réalité. Ces dernières semaines, la confusion a été totale, et les contradictions évidentes. Même si cela paraît très difficile, il faut absolument clarifier ce qui relève d’abord du droit à l’asile, et ensuite de l’immigration – sinon sous la pression et l’effet de la panique, l’asile sera balayé. Mais aussi harmoniser les politiques européennes sur chacune des deux politiques et préciser à quels niveaux on agit : UE, Schengen réformé, Etats membres, régions, villes, associations, etc. J’ai développé ces idées dans « Le Figaro » du 19 septembre dernier.
L’embargo russe pénalise durement les agricultures européennes, notamment française. L’Union européenne fait-elle une erreur en tournant le dos à la Russie ?
Même si l’Occident a accumulé les erreurs et les maladresses avec la Russie depuis 1992 – l’OTAN, le ton, le dispositif antimissile -, y compris lors de la négociation par la Commission de l’accord d’association avec l’Ukraine, on ne peut pas exonérer complètement la Russie de ses responsabilités propres. Il faut en tout cas en sortir, faire réussir le processus de Minsk avec l’Ukraine, et après reconstruire une relation sure, mais équilibrée, avec la Russie.
L’Europe est-elle, de plus en plus fréquemment, en mesure de mener une « véritable » diplomatie, par exemple avec les accords de Minsk ?
Non, ne vous faites pas d’illusion, voyez le Moyen-Orient, l’Afrique, etc … Sur l’Iran, c’était la volonté d’Obama. Les accords de Minsk ce n’est pas « l’Europe », c’est une bonne initiative franco-allemande, soutenue plus ou moins par les autres Européens. D’ailleurs le débat sur la levée des sanctions divisera les Européens.
Paris accueillera fin novembre et début décembre la COP21, présentée parfois « comme la conférence de la dernière chance » sur le climat. Or, les Etats européens ne parviennent pas à s’accorder sur une position commune à cette occasion. Comment l’Europe peut-elle être efficace si elle ne parvient pas à parler d’une même voix sur la question environnementale ?
Il n’y a pas désaccord majeur entre Européens à ce sujet, malgré la sortie du nucléaire décidée par Mme Merkel, sortie électoraliste, prématurée et mal préparée, qui fait qu’elle est devenue en Europe la championne des rejets de CO2 à cause de son recours massif au charbon. De plus, l’enjeu n’est pas la « planète » – il pourrait y avoir une planète Terre sans vie – mais la possibilité de continuer à vivre sur la planète Terre.
Le premier objectif est qu’à l’occasion de la COP21, grâce à la prise de conscience interne dans de plus en plus de pays, et à la mobilisation française, les pays gros émetteurs de CO2, les pays développés et les gros émergents, s’engagent publiquement à réduire leurs émissions, avec un calendrier précis, que l’on voudrait contraignant, mais qui aurait le pouvoir de les contraindre ? C’est déjà fait pour la plupart d’entre eux mais pas l’Inde. Les ONG, les scientifiques et les écologistes trouvent que cela ne va pas assez loin, ni assez vite. Possible, mais c’est déjà considérable, sans précédent, et beaucoup mieux qu’à Copenhague. Cela nécessitera des transformations considérables, dans la durée. Quant à l’accord sur l’aide financière à l’adaptation pour les autres pays peu émetteurs de CO2, c’est important aussi, mais je ne dirai pas, contrairement au discours officiel, que c’est le facteur de réussite, ou d’échec.
Vous avez popularisé la notion d’ « hyperpuissance » américaine. Ce concept est-il toujours d’actualité aujourd’hui ?
Non, il était valable pour la décennie 90. Cependant, même si les Etats-Unis ne sont plus l’hyperpuissance géopolitique, car elle est contestée, challengée, et limitée pour des raisons internes, ils restent très dominants militairement, technologiquement, grâce aux entreprises de la nouvelle économie numérique, les GAFA, et par leur usage unilatéral et cynique de leur pouvoir judiciaire sur tout ce qui se fait en dollar, c’est-à-dire presque toutes les transactions dans l’économie globale de marché ! Leurs grandes universités restent les plus attractives, et leur économie marche bien. Mais cela ne suffit plus à faire la loi dans le monde!
Sur la question syrienne, François Hollande a annoncé devant les journalistes que le départ de Bachar Al-Assad était une nécessité pour rétablir la paix dans ce pays. Il s’est par ailleurs refusé à une intervention militaire au sol, préférant privilégier les vols de reconnaissance. Les initiatives du président de la République sur la Syrie vont-elles dans le bon sens ?
L’évolution réaliste, militaire et politique du président Hollande sur la Syrie va dans le bon sens. Il reparle de processus politique, donc avec la Russie, et peut-être même l’Iran et dit maintenant que Bachar al-Assad devra partir « à un moment ou à un autre », c’est-à-dire pas forcément au préalable. Cela dit, nous n’avons pas les clefs. Si on veut réellement neutraliser et éradiquer Daesh et pas seulement l’endiguer, il faudrait l’engagement au sol d’une coalition militaire et politique mondiale et que l’on ait défini à l’avance les solutions politiques que l’on mettrait en œuvre après en Irak, et plus encore en Syrie.
Plus généralement, quelle est la place de la France aujourd’hui sur la scène internationale. Son rôle est-il amoindri, en perte de vitesse ou au contraire est-elle sur le point de connaitre un renouveau ? Quelles sont les pistes à explorer pour rénover sa position ?
L’image de la France reste plus forte que ce que l’on croit. Laurent Fabius à raison de dire que la France est attendue. Et elle garde de vrais moyens d’influence. Cela dit, les Occidentaux ont perdu le monopole de la puissance dans le monde. Et ils ont du mal à s’y résigner. Dans ce chaos, la France a toujours des intérêts légitimes à défendre et des idées à promouvoir. Elle est assez habile à jouer des divers leviers et enceintes. Mais elle reste trop chimérique et il faut qu’elle arrive à se réformer.