La brume s’épaissit. Par le triple effet du quinquennat, des incertitudes européennes et du méli-mélo territorial, les Français ont de plus en plus de mal à distinguer vers quel avenir politique notre pays se dirige. Contrairement à un cliché fort répandu, nous ne nous trouvons pas en monarchie élective. Sous un tel régime, le chef dirait « nous maintiendrons » et non pas « je me cramponne ». Nous ne sommes pas revenus pour autant au bonapartisme, style de pouvoir voulant qu’un démiurge unique tranche de tout puisque, à tort ou à raison, nous avons l’impression que peu de choses sont décidées. Mais le noble idéal républicain d’une souveraineté populaire déléguée à un ensemble de représentants capables continue à être mis à mal par un centralisme élyséen dont le prisme télévisuel exagère les travers.
Choisi par les citoyens avant tout parce qu’il ne ressemblait guère à son prédécesseur, François Hollande est de plus en plus surpris à imiter celui-ci dans le présidentialisme verbal et brouillon. Si bien que se profile le cauchemar d’une future campagne électorale où l’un et l’autre s’affronteraient dans un grand déballage télévisé d’états d’âme personnels – et de vie privée ! – en commentant la difficulté de porter une croix présidentielle devenue de toute façon trop lourde pour de chétives épaules.
Admirateurs rétrospectifs d’un général de Gaulle que leurs parents avaient congédié, nos compatriotes rêvent d’un Hercule à la fois viril, raisonnable et vertueux. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, ils pourraient se retrouver au bout du compte avec l’incarnation féminine du contraire. Car la « présidentielle permanente » grippe les mécanismes institutionnels d’expression et d’action collective. Elle fait le jeu de la démagogie en accréditant la fausse impression qu’il n’y a de pouvoir qu’ à l’Elysée ou dans la rue. Pourtant, les « corps intermédiaires » n’ont pas renoncé. Le Conseil constitutionnel et la Cour des comptes continuent à produire d’excellents et utiles travaux. L’Assemblée nationale et le Sénat, décriés de manière pas toujours innocente, corrigent les emballements de l’Exécutif et servent de caisse de résonnance aux soucis et colères des citoyens sans que ceux-ci en soient toujours conscients. Les élus n’ont pas toutes les qualités mais dans les deux hémicycles se manifeste encore l’art de faire de la politique autrement que par l’étalage perpétuel des mérites comparés des candidats à la magistrature suprême. Plus que jamais, il faut aimer le Parlement.