Malgré l’adoption par son gouvernement d’une loi sur la tenue d’élections provinciales à date fixe, Pauline Marois (Parti Québécois) a demandé au Lieutenant-Gouverneur du Canada de mettre fin au mandat des députés qui composaient la 40ème législature de l’Assemblée nationale. La raison invoquée était la menace des partis d’opposition de déposer une motion de censure sur le budget présenté par son ministre des Finances. Le gouvernement péquiste en place depuis septembre 2012 était minoritaire puisque lors de sa formation, il ne disposait que de 54 sièges sur un total de 125.
Face au Parti Québécois, le PLQ, parti fédéraliste dirigé par Philippe Couillard mais aussi à deux partis affichant des convictions souverainistes : la Coalition Avenir Québec (CAQ) créée en 2011 par François Legault, dissident du PQ qui avait raflé 27% des voix en empiétant sur les terres du PQ lors du scrutin de 2012. Autre parti d’opposition, Québec Solidaire (QS), issu en 2006 de plusieurs formations fortement ancrées à gauche. Après quelques difficultés de démarrage, le gouvernement avait pris des mesures pour lutter contre le chômage dont le taux s’affichait à 7,8 % en février dernier. Il avait procédé à un recentrage idéologique sur le front économique, et durant l’hiver il avait annoncé pour près de 2 milliards de dollars d’engagements publics dont 350 millions de dollars pour une cimenterie en Gaspésie et 115 millions de dollars pour l’exploration pétrolière dans l’île d’Anticosti (avec pour partenaire le français Maurel & Prom) ainsi qu’une politique d’austérité. Depuis l’automne 2013, il s’était activé à séduire l’électorat nationaliste au travers d’un projet de Charte sur la laïcité et la neutralité religieuse de l’État qui a fortement divisé l’opinion publique, notamment dans la métropole de Montréal qui compte près de la moitié de la population québécoise et où se concentrent 16 % de citoyens issus de l’immigration. La Charte a fait débat à l’Assemblée où la seule députée musulmane libérale s’est fait éjecter de son parti après un bras de fer avec Philippe Couillard. Convaincue de pouvoir obtenir la majorité qui lui fait défaut pour mener à bien son combat sur la laïcité, encouragée par des sondages qui lui sont favorables sur ce point, Pauline Marois qui œuvre en politique depuis 33 ans considère alors qu’un gouvernement péquiste majoritaire peut sortir des urnes.
Le spectre de la souveraineté
D’élection en élection, la question de la santé reste un enjeu au Québec. Selon les sondages, 62 % des Québécois sont insatisfaits du fonctionnement de leur système de santé. Institué en 1971, il est public à 98 % et les soins sont administrés en dispensaire. Si la qualité des soins est bonne, l’accès à un médecin de famille reste un problème et les services d’urgence sont engorgés en permanence (moyenne d’attente : 17h ) ce qui paralyse le système. Pourtant, trois des chefs, Pauline Marois en 1998-2001, François Legault en 2002-2003 et Philippe Couillard en 20003-2008 ont été ministres de la santé. Les électeurs attendaient des réponses à ce problème majeur ainsi qu’à celui du développement économique censé favoriser l’emploi. Au troisième jour de la campagne, l’arrivée sur la scène politique aux côtés de Pauline Marois de Pierre Karl Péladeau, propriétaire du 1er réseau de télévision privée en langue française et à la tête de 40 % des médias québécois fait l’effet d’un coup de tonnerre. Débordant la responsable péquiste, il lance d’emblée la campagne sur le thème de la souveraineté en réclamant “un pays” le poing levé. Dès lors, c’est autour d’un Québec indépendant que la campagne se jouera. Plus les Péquistes achoppent à clarifier leur message, plus les sondages donnent une avancée certaine au Parti Libéral qui fait campagne sur la peur d’un référendum souverainiste. Vient ensuite la question de l’intégrité des candidats et du financement des partis politiques. Philippe Couillard fait l’objet de questions sur d’anciens avoirs à Jersey et son association hasardeuse avec un ex-directeur hospitalier accusé de fraude et Pauline Marois doit défendre la réputation de son conjoint l’homme d’affaires Claude Blanchet. L’ombre de la commission Charbonneau plane sur le deuxième débat des Chefs. La CAQ qui remonte dans les sondages semble tirer parti des questions d’éthique et de transparence auxquelles PQ et Parti Libéral n’apportent pas de vraie réponse. À la veille du scrutin, 65 % des Québécois interrogés disent vou- loir se doter d’un gouvernement majoritaire.
Pauline Marois, élue pour la première fois sous le gouvernement de René Lévesque en 1981, battue dans sa propre circonscription perd son mandat et démissionne de son poste de chef du Parti Québécois. Un chef parlementaire par intérim a été nommé. Bernard Drainville, “père” de la Charte de la laïcité et Jean-François Lisée, réélus, ainsi que Pierre Karl Péladeau qui fait son entrée à l’Assemblée nationale sont les trois candidats potentiels au poste de chef du PQ et de l’opposition officielle. Le vainqueur devra recoller les morceaux d’un parti divisé, victime de désistements douloureux et de querelles internes que d’aucuns disent déconnecté de la génération montante.
Les défis à relever
En place pour quatre ans (la prochaine élection aura lieu le premier lundi d’octobre 2018), le gouvernement libéral va devoir faire face aux engagements de campagne de Philippe Couillard. Né en 1957 d’un père canadien et d’une mère française, neuro-chirurgien de profession, deux fois ministre de la santé et des services sociaux, il est chef du Parti Libéral du Québec depuis 2013. Il fait de la relance économique la première de ses priorités. Il prévoit d’atteindre l’équilibre budgétaire d’ici 2015-2016 tout en investissant 1,5 milliard de dollars sans renier les engagements du précédent gouvernement. Le PLQ s’est engagé à annuler la hausse des frais journaliers de garderie de 7 à 9 dollars décidée par le gouvernement Marois et à l’indexer au coût de la vie. Le dossier de la Charte fera l’objet d’un nouveau projet de loi basé sur des propositions faisant consensus. Philippe Couillard veut abolir la taxe santé et désengorger le service de santé avec la création de 2000 postes d’infirmières cliniciennes ayant les pouvoirs décisionnels. Il entend également attacher son nom à un plan de développement “stratégie maritime” qui vise à augmenter le transport de marchandises le long du Saint-Laurent associé à la création de centres de recherche-développement et d’un pôle logistique. Autant de projets qui, avec la relance du Plan nord, devraient créer 250.000 emplois dans les 5 ans à venir. Pour ce faire, le nouveau Premier ministre table sur une croissance pour le Québec de 2,1 % en 2014 alors que les économistes l’évaluent à 1 ,8 % maximum.
Par Claude Ader-Martin