Alors que l’Europe de la défense a été le symbolique sujet du Conseil européen de décembre, les avancées en la matière demeurent timides. Pourtant, entre la nécessité de renforcer sa protection et l’étouffement des budgets défense, ce vieux projet s’impose.
C’est un serpent de mer. L’histoire de multiples échecs. Pourtant, une fois encore, l’Europe a de nouveau tenté de tordre le cou aux réfractaires en lançant un chantier souverain : celui de sa défense. Le sujet était symboliquement à l’ordre du jour du dernier Conseil européen, qui s’est tenu les 19 et 20 décembre 2013. Pour la première fois depuis le Traité de Lisbonne en 2007, les chefs d’États réunis à Bruxelles, ont débattu des questions de défense et de sécurité.
La réflexion n’est pas récente. En 1954 déjà, la Communauté européenne de défense (CED) porte le projet de création d’une armée commune dans le cadre d’institutions supranationales. Mais la France refuse, avec la fameuse justification de Robert Schuman : “L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes dans des secteurs limités et stratégiques”. En 1998, avec le sommet franco-britannique de Saint- Malo, l’ambition s’affirme : les bases de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) sont posées. C’est dans cet esprit qu’est instaurée quelques années plus tard une Stratégie européenne de sécurité, qui définit une approche commune des menaces et des moyens. Depuis, l’Union a lancé 24 missions, civiles et militaires, sur 3 continents. Près de 20 000 personnes ont été déployées sur des théâtres d’opérations comme la lutte contre la piraterie maritime au large de la Corne de l’Afrique (Atalante), gestion de crise en République Démocratique du Congo (Artémis) et en Ancienne République Yougoslave de Macédoine (Concordia).
“L’UE a déjà lancé 24 missions, civiles et militaires, sur 3 continents”
“Se donner les moyens de sa souveraineté ”
Aujourd’hui, les crises et risques prolifèrent dans le voisinage de l’Europe : fragilité dans les États issus de l’ex-URSS, instabilité dans les pays en transition démocratique (Syrie, Egypte, Libye), incertitude sur certains gouvernements africains encore peu établis (Mali, Centre-Afrique). Des menaces plus diffuses mais néanmoins redoutables existent également, comme la cyberguerre, la prolifération ou le terrorisme. Dans le même temps, les pays européens réduisent leurs budgets de défense pour répondre aux exigences de réduction de l’endettement. Sans compter que le vieux continent se retrouve seul face à ses responsabilités puisque, pour la première fois depuis la fin de la Première guerre mondiale, les États-Unis s’y désengagent progressivement au profit de l’Asie.
Pour répondre à cette nouvelle donne géostratégique, de nombreuses visions émergent afin d’aller dans le sens d’une coopération davantage renforcée. Trois grandes conceptions s’affrontent :
– L’Europe de la défense, qui vise à gérer la gestion des crises extérieures, et non la défense collective et la stabilité de l’UE, garantis par l’Otan. Cette conception consiste également à mettre en commun les opérations et de l’industrie de défense.
– Un Eurogroupe de défense, prôné par les sénateurs Daniel Reiner, Xavier Pintat, Jacques Gautier et André Vallini, conçu en dehors des institutions européennes actuelles, avec la réunion des seuls pays qui possèdent une puissance militaire significative et une industrie nationale de défense : la France, le Royaume- Uni, l’Allemagne, l’Italie.
– La défense européenne, qui consisterait à une mutualisation totale des moyens. C’est le parti de Michel Barnier, Commissaire eu- ropéen au Marché intérieur et aux Services, qui affirme que l’Europe doit être “autonome” et “se donner les moyens de sa souveraineté”. Si l’on additionne les budgets militaires nationaux, l’UE détient le deuxième budget militaire du monde. Mutualiser ces 175 milliards d’euros permettrait de réaliser des économies d’échelles immenses, par une mise en commun des outils de base, une baisse des dépenses budgétaires nationales en évitant des doublons à échelle européenne, d’optimiser l’efficacité des actions communes.
Un processus en marche
Malgré les multiples propositions sur la table, le Conseil européen a de nouveau déçu, puisque les avancées en matière de coopérations se sont montrées très frileuses. Premièrement, 22 pays de l’Union préfèrent privilégier le recours à l’Otan pour assurer leur défense. Ensuite, le Royaume-Uni – seul pays avec la France à disposer d’une force militaire importante appuyée par l’arme nucléaire – refuse l’idée d’Europe mais accepte seulement celle d’une coopération épisodique, comme par exemple en Libye. Et enfin, l’Allemagne, en raison de ses institutions, demeure réticente à tout engagement militaire.
“L’UE détient le deuxième budget militaire du monde : 175 milliards €.”
Dans la mesure où un accord entre les différents partenaires européens – aux cultures et intérêts différents – est nécessaire pour engager une intervention militaire commune, la situation n’est pas prête de décanter. D’autant qu’aucune vision sur le rôle que l’Europe doit jouer sur la scène internationale n’a émergée. Les interventions d’urgence au Mali et en Centre-Afrique ont constitué une illustration de cette dissonance : malgré l’appui de principe de Bruxelles, la France se retrouve sans crédit et seule à envoyer des soldats sur le terrain. Une situation qui a conduit l’ancien secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Pierre Lellouche, à cette caustique analyse : “la France ne peut plus être le mercenaire gratuit de l’Europe”. Pour autant, le Conseil européen aura eu le mérite incontesté de faire parler, réfléchir. Et offre de quoi alimenter les réflexions jusqu’au prochain sommet, fixé en juin 2015.
“La France ne peut plus être le mercenaire gratuit de l’Europe”.
En attendant, la crise en Centrafrique a permis de cerner les avancées comme les limi- tes de la coopération militaire. Catherine Ashton, responsable de la diplomatie euro- péenne a annoncé le 14 février que la mission EUFOR-CFA serait renforcée, mais uniquement parce que les Polonais (140 hommes) la Roumanie (50), la Lettonie et la Géorgie (non membres de l’UE) ont décidé d’envoyer sur place des contingents limités. La Belgique, échaudée par son intervention au Rwanda en 1994, invoque, comme le Portugal, l’Espagne, des raisons budgétaires. L’Italie s’estime engagée au mieux de ses possibilités dans l’opération anti-piraterie en Somalie et l’Allemagne considère qu’elle est déjà présente au Mali. La Suède réfléchit à un appui logistique. Londres et Vienne regardent de près les dépenses… Il y aura bien une “opération militaire européenne” – forte de 500 à 1000 soldats – en Centrafrique, dont l’état-major sera installé à Larissa en Grèce sous le commandement d’un général français, Philippe Pontiès. Mais ses effectifs semblent pour le moment arriver au compte- gouttes sur le terrain.
Colombe Dabas