C’est un problème universel, en ce sens qu’il se pose dans presque tous les pays de notre planète. Comment occuper les personnalités qui, ayant exercé des responsabilités majeures et même suprêmes, se trouvent soudain désoeuvrées ? Les réponses varient selon les climats et les cultures. La France, qui compte trois anciens présidents de la République, traite le problème vaille que vaille mais plutôt bien. Au point que le benjamin du trio, bien que menacé de façon récurrente d’avatars judiciaires dont il semble peu se soucier, n’attend plus qu’une chose du peuple. Qu’il lui donne à la prochaine échéance la possibilité de prendre sa revanche. Espérance peu inédite, d’ailleurs, puisque le doyen de nos ex-présidents a cultivé longtemps, lui aussi, un rêve de ce genre, peu à peu devenu chimère. Mais ce que l’un n’a pu faire, l’autre le réussira peut-être. Il n’y a ni fatalité ni malédiction qui tiennent en la matière. Rappelons-nous la sombre prophétie de ceux qui répétaient à l’envi que « personne n’a jamais exercé jusqu’au bout deux mandats présidentiels en France». François Mitterrand, allant il est vrai à la limite de ses forces, s’est chargé d’administrer la preuve qu’une idée reçue n’était pas synonyme de jurisprudence !
Il faut savoir nous montrer fiers de notre démocratie tranquille en dépit des soupirs qu’elle nous inspire parfois. En observant ce qui se passe ailleurs dans le monde, la comparaison paraît souvent en sa faveur. L’histoire récente, à l’étranger, abonde en pitoyables sorties de route de dirigeants, surtout quand ceux-ci ont mal contenu leur naturel autoritaire. Ceausescu et sa femme arrêtés par la patrouille puis traduits devant un tribunal aussi étrange qu’expéditif. Khadafi lynché à la sortie d’un tuyau d’égout. Saddam Hussein pendu haut et court… Un peu plus chanceux ont été Moubarak, traîné dans le prétoire en civière ou les consorts Ben Ali, terrés quelque part en Arabie Saoudite. Quantité de livres et de films ont beau enseigner, preuves à l’appui, depuis fort longtemps, que les dictatures finissent toujours mal, la leçon n’est jamais retenue par les autocrates. C’est pour cela que, partout, les démocrates de bonne volonté, lorsqu’ils ont leur mot à dire, doivent écarter en priorité les incultes. Sans cesser, bien entendu, de se méfier des gens trop instruits…
Nul doute que, quelque part à l’Est de la ligne en pointillé qui sépare «l’Ukraine européenne» de «l’Ukraine russophile», Viktor Ianoukovytch dispose du loisir de réfléchir – mais un peu tard – à la bête cupidité qui l’a précipité du sommet du pouvoir au statut de fugitif. Dans ce processus, le rôle de « l’agora de la place Maïdan » n’a cessé d’être magnifié par les chaînes occidentales de télévision toujours avides de ces images de foule censées, de façon illusoire, raconter la marche de l’Histoire en direct. Les actes du Parlement n’en ont pas moins été décisifs pour orner la colère populaire de légalité. Renouvelée par des élections libres et dotée d’un corps de règles assurant une juste représentation à chaque courant politique, l’Assemblée ukrainienne fournira à l’avenir le meilleur indicateur du degré de liberté auquel parviendra ou non un pays auquel la géographie assigne un destin singulier. Plus que du retour de l’homme ou de la femme providentiel (le) ou d’une hypothétique entrée en Europe, son peuple a besoin avant toute chose d’une bonne démocratie parlementaire.