Lors du vote de la loi de finances rectificative à l’Assemblée, il a été à nouveau question du scandale qui défraie la chronique depuis plus de vingt ans. L’État va financer par emprunt la reprise des dernières dettes. Soit le tiers d’une facture totale qui s’élève à 15,5 milliards d’euros.
C’est toujours un moment de vérité. L’occasion, en dépit de toutes les ressources de l’art de présenter des comptes publics, de regarder de près “ce qui sort et ce qui rentre” dans les caisses de l’État. L’Assemblée nationale a adopté le 10 décembre dernier, en première lecture, le collectif budgétaire 2013, désigné sous le nom de “projet de loi de finances rectificative”. Comme chaque année, ce texte débloque des crédits et en reporte d’autres. Il a été voté par 305 voix pour (socialistes, radicaux de gauche et écologistes) 229 contre (UMP, UDI et Front de gauche) et quatre abstentions. Ainsi aura été confirmé l’objectif du gouvernement de ne pas dépasser, sur l’année écoulée, 4,1 % de déficit public calculé sur le produit intérieur brut (PIB). Par rapport à 2012, cela constitue une diminution de 0,7 %. Hors charge de la dette et pensions, les dépenses de l’État sont maintenues à 279,4 milliards d’euros, ce qui correspond à l’objectif du budget initial. La baisse de 2,9 milliards qui apparaît par rapport à la prévision provient d’une “charge de la dette” moins importante que prévu grâce à une accalmie sur le front des taux d’intérêt. Rien de plus fragile, puisqu’une remontée des taux peut à tout moment “plomber” à nouveau les comptes. La baisse des recettes en période de croissance faible reste par ailleurs alarmante. A lui seul, l’impôt sur le revenu rapporte 3,1 milliards de moins que ce qui avait été prévu, ce qui a permis au président (UMP) Gilles Carrez de la commission des finances de rappeler à quel point l’augmentation de la pression fiscale est contre-productive puisqu’elle suscite le recul des investissements, l’évasion, les délocalisations et la fraude.
Des charges nouvelles
Au cours de la discussion, qui s’est poursuivie au Sénat, on aura vu aussi que la dégradation de la conjoncture n’empêche pas l’apparition de charges nouvelles notamment liées aux opérations militaires extérieures. Commentée d’abondance par la presse économique, l’importante réforme de l’assurance-vie est apparue aussi dans ses détails au fil des chapîtres de ce collectif budgétaire, ainsi que de nouvelles dispositions sur la taxe d’apprentissage qui fera, en principe sans augmentation de la charge laissée aux entreprises, d’une répartition différente entre l’État et les régions.
“Cette chronique d’une “banqueroute à la française” a flirté souvent avec la rubrique judiciaire lors des différents procès.”
Dans un texte tel que le projet de loi de finances rectificatives, il y a toujours beaucoup d’informations intéressantes, qu’elles figurent dans la loi ou qu’elles émanent des orateurs intervenant dans le débat. Retenons celle-ci, venue du rapporteur général du budget Christian Eckert (PS) : le coût total de la “défaisance” (nom pudique donné à l’effacement de l’ardoise) du Crédit Lyonnais représente sur plus de vingt ans 15,5 milliards d’euros. Le rapporteur a parlé à ce sujet, au nom de la majorité, d’un “cadavre qui nous a été laissé”. Des propos susceptibles d’alimenter à nouveau l’interminable polémique provoquée par la faillite de cette banque à la fin des années quatre-vingts et relancée par ce qu’il est convenu d’appeler “l’arbitrage Tapie” décidé par le gouvernement précédent et faisant l’objet, sous l’actuel, de poursuites judiciaires.
En marge de la contestation de l’arbitrage, il convient en effet de s’interroger sur la manière dont – bien avant la faillite Lehmann Brothers et la crise financière de 2008 – ce dossier empoisonné a été géré. L’actuelle majorité a beau jeu de dire que la “défaisance”, en dehors de la création de structures successives, la dernière en date étant l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), n’a jamais fait l’objet de “véritable décision” ni de contrôle précis par le Parlement du rôle de “L’État-actionnaire”. L’opposition ne se prive pas de son côté de rappeler la genèse de cette “affaire” sulfureuse qui remonte au soutien inconsidéré de la banque publique, alors que la gauche était au pouvoir, à des opérations risquées aux côtés du promoteur immobilier Michel Pélège puis l’acquisition des studios de cinéma MGM à l’homme d’affaires italien Paretti, les incursions sur le marché américain de l’assurance (Executive-Life) et, naturellement, les investissements à découvert de Bernard Tapie dans Adidas. L’histoire, née du retournement du marché immobilier de bureaux à Paris en 1992, a fait apparaître, notamment lors de procès intervenus en France et à l’étranger, les liens étroits d’une banque d’État avec les milieux politico-financiers les plus aventureux. Elle a été caractéristique des “années-fric” et des folies de “l’État-actionnaire”, apportant de l’eau au moulin des adversaires des nationalisations de 1981. On pourrait aussi incriminer la conversion, aussi mal assimilée de part et d’autre, de la droite technocratique et de la gauche rêveuse aux pratiques économiques libérales induites par la mondialisation. Car l’ensemble du dossier, avec le recul du temps, montre que les alternances politiques n’ont pas favorisé un règlement rapide des conséquences du désastre à cause de nos lenteurs et précautions administratives.
Des pertes abyssales
Cette chronique d’une “banqueroute à la française” a flirté souvent avec la rubrique judiciaire lors des différents procès qu’elle a entraîné en France et aux États-Unis, ainsi qu’avec celle des faits-divers, notamment quand le siège central de la Banque à Paris, ainsi que le dépôt des archives d’une filiale ont été l’objet d’incendies dont l’aspect accidentel est resté sujet à controverses. Fait rarissime, on a vu en 1996 un ministre des finances, le centriste Jean Arthuis, porter plainte contre un ancien directeur du Trésor, l’inspecteur des finances Jean-Yves Haberer, président du Crédit Lyonnais jusqu’à ce que les pertes deviennent abyssales. Celui-ci a été condamné en 2005 pour présentation de comptes frauduleux. Il a perdu ses décorations et ne figure plus dans le Who’s who. Il n’a jamais cessé de se présenter en bouc émissaire. Dans un ouvrage-plaidoyer, cette personnalité majeure de l’establishment financier évoque les milliers de faillites évitées par ses décisions stratégiques et le suicide de son ami Pierre Bérégovoy qui l’a toujours soutenu, ainsi que les “intérêts nationaux qui sont la croissance et l’emploi”.
Depuis plus de vingt ans, quantité d’enquêtes ont été menées et des dizaines de livres ont été écrits sur cette affaire et ce n’est pas fini puisque l’État doit encore rembourser 4,8 milliards d’euros. Un rapport du sénateur (PS) Jean-Claude Frécon a bien fixé les choses, dès 2012, en précisant qu’il s’agissait d’une “dette cumulée”, c’est à dire augmentée des intérêts versés par l’EPFR pour porter les dernières créances. On sait que l’État, lors d’un conseil des ministres au mois de novembre, a décidé de suivre l’avis des parlementaires qui proposaient à l’État de “reprendre la dette” et de financer son remboursement par anticipation, l’échéance tombant fin 2014. D’où la décision, consacrée par le vote du collectif budgétaire, de “mettre la main à la poche” à nouveau, la structure de défaisance (EPFR) n’ayant plus aucun actif à vendre et la banque ayant été reprise elle-même depuis belle lurette par le Crédit agricole. L’agence “France-trésor”, qui s’occupe de placer “la dette de l’État” a donc été autorisée à rechercher sur les marchés financiers, en profitant des taux favorables, de quoi faire solder directement par l’État le montant du “découvert” de l’EPFR. Une mesure qui permet au ministère du budget d’affirmer qu’il s’agit du “point final” de ce “naufrage industriel”.
Mais est-ce si sûr ? L’un des principaux intéressés ne le pense pas. Bernard Tapie lui-même, menacé de perdre le bénéfice – à hauteur de 403 millions d’euros – de “l’arbitrage” dont il a bénéficié du fait du préjudice qu’il estime avoir subi lors de la revente d’Adidas par le Crédit Lyonnais, souhaite qu’une nouvelle commission d’enquête soit mise sur pied par l’Assemblée nationale ou le Sénat. Ce serait un nouveau rebondissement, sachant que la justice est déjà saisie dans le cadre d’une “escroquerie en bande organisée” et que Cour de Justice de la République se préoccupe du rôle de Christine Lagarde, ministre des finances au moment de l’arbitrage, entendue les 23 et 24 mai 2013. Les parlementaires ne peuvent pas, en théorie, enquêter sur un dossier à l’instruction sur le plan judiciaire. Lorsqu’ils l’ont fait, à l’occasion de l’affaire Cahuzac notamment, les personnes en- tendues pouvaient en vertu du principe de présomption d’innocence, revendiquer un “droit au silence” dans l’attente de la décision des juges. Il n’en reste pas moins troublant de constater à quel point le “fantôme du Crédit Lyonnais” hante encore les travées du Parlement.
Par François Domec