Pouvez-vous décrire la nature de votre livre ?
C’est un livre essentiellement politique. J’ai cherché à faire le lien entre l’impasse dans laquelle se trouve l’Europe d’aujourd’hui et les conditions dans laquelle elle a été précipitée dans la Première Guerre mondiale, qui portait en elle les germes de la seconde. Cet ouvrage vise à montrer que la “méthode Monnet” choisie pour “construire l’Europe” et l’impasse économique et politique à laquelle ce choix a conduit, s’appuient sur le discrédit et à la dévalorisation injustes des nations européennes à la suite du des deux premiers conflits mondiaux. En effet, les nations ne sont pas les nationalismes. Elles sont le cadre indispensable de la démocratie. Vous mentionnez au début de votre livre l’importance de prendre en compte le “temps long” pour comprendre le présent.
Pour autant, est-il vraiment nécessaire de partir de 1914 pour expliquer l’Europe d’aujourd’hui ?
Il faut redonner au XXe siècle sa cohérence politique. Il est donc nécessaire de faire le parallèle entre les deux mondialisations -celle d’avant 1914 et celle d’après 1945- pour montrer comment elles ont modifié la hiérarchie de l’équilibre des puissances. En 1914, l’Allemagne connaît une dynamique et une croissance extrêmement fortes, et devient, pour l’Angleterre, une menace pour l’hégémonie de l’Empire britannique, de même aujourd’hui la Chine pour l’hégémonie américaine. La puissance continentale allemande s’oppose en 1914 à la force hégémonique et maritime d’Angleterre. Aujourd’hui, c’est au tour de la Chine de faire face à l’Amérique. De 1914 à 1945, la suprématie a déserté les rivages de l’Europe et franchi l’océan.
Vous expliquez que les mécanismes d’éclatement de la Première Guerre mondiale ne sont pas développés par les historiens actuels. Comment expliquez-vous ce décalage voire ce déni ?
La pensée historique est instrumentalisée par la vision des élites dirigeantes d’aujourd’hui. Personne ne revient sur les causes du déclenchement de la guerre. Pourtant, contrairement à ce qui est souvent dit, ce ne sont pas les nations qui ont marché les unes contre les autres en 1914. La guerre a été décidée par un cercle restreint de décideurs imbus de l’idéologie pangermaniste. L’impératif du “plus jamais ça” a discrédité les pays, permettant non les élites mais les nations elles-mêmes d’instaurer un système technocratique à l’ombre de la tutelle de l’Amérique. Il y a un lien logique entre la dévalorisation des nations et l’apologie de l’Europe actuelle. Les élites européennes veulent une union néolibérale largement ouverte sur le marché mondial. Cette Europe ne compte pas militairement, n’est défendue ni au point de vue commercial ni monétaire et se trouve militairement subordonnée à la puissance des États-Unis.
Croyez-vous à un sursaut européen et français ?
Économiquement en retrait avec la monnaie unique qui ne marche pas, l’Europe actuelle n’a pas l’influence politique à laquelle qu’elle pourrait prétendre. À mon sens, les clés d’un véritable sursaut résident dans le retour à des concepts clairs et simples : démocratie, nations, intérêt général. Il faut réintroduire l’Europe dans l’histoire en rompant avec le modèle actuel mortifère. Je propose de restaurer les facultés d’ajustement monétaire qui seraient moins douloureuses que réaliser des déflations internes pour restaurer la compétitivité de nos économies. Je propose une grande Europe, libre et indépendante, bref européenne. Il faut la penser à la lumière des défis du XXIe siècle, dominés par la Chine et les États-Unis. Il est temps que les européens s’organisent, de la Méditerranée à la Russie, pour pouvoir exister par eux-mêmes en préservant les valeurs et les systèmes auxquels ils sont attachés comme celui de la démocratie sociale. La nation, qui n’est pas le nationalisme, doit rester le cadre de la démocratie. L’intérêt général ne peut être défini par une commission d’experts mais par des citoyens après l’organisation de débats républicains.