Les élections européennes se dérouleront en mai 2014, alors que le climat actuel semble plutôt traduire une certaine défiance vis à vis des institutions communautaires. Quelles initiatives chatoyantes peuvent-être mises en place pour redonner des couleurs à celles-ci et éviter un triomphe des anti-européens ?
Il n’y a pas de fatalité à une poussée des extrêmes ou des populistes. Des réponses sont à apporter. D’abord sur l’emploi. Nous sortons de la récession et retrouvons peu à peu le chemin de la croissance, parce que tous ensemble, Parlement, Commission, gouvernements et Banque Centrale Européenne, avons pris les bonnes mesures pour rétablir la stabilité et la transparence sur les marchés financiers, mieux gouverner l’Europe, réduire les déficits. Les premiers effets sont visibles. L’autre réponse, c’est le débat public. Le pire pour l’Europe serait le silence. Il faut dénoncer cette recherche du bouc émissaire. Je crois à la force du débat public, si chacun veut bien assumer ses responsabilités.
Le français Joseph Daul, président du Parti populaire européen (PPE), a décidé de ne pas se représenter aux prochaines élections européennes. La représentation française sera-t-elle aussi bien prise en compte ?
Joseph Daul a pris une décision difficile et sage. Je sais qu’il continuera à veiller à la représentation et à l’influence des députés français au Parlement européen. A la condition que notre pays parvienne à trouver le bon équilibre entre l’expérience des députés sortants – qui doit être prise en compte – et le renouvellement nécessaire.
La désignation du président de la Commission européenne, à laquelle les observateurs vous disent candidat, se fera en juin. Quelles seront, selon vous, les nouvelles directives à appliquer ?
J’entends que mon nom circule ici et là. C’est aux dirigeants du PPE et à son président, Joseph Daul, de décider. Ils savent mon engagement patriote et européen. Mais il est trop tôt pour savoir si je peux être utile au Parti Populaire Européen, qui regroupe les 28 formations de centre droit dans chacun de nos pays. Aujourd’hui, ma priorité c’est d’être à la tâche, de conclure l’union bancaire. Elle est vitale pour le retour de la croissance grâce à la stabilité et à la transparence sur les marchés financiers. Je suis totalement attaché à achever le travail considérable que nous avons entrepris depuis la crise pour recréer et reconstruire un cadre de régulation, de transparence, de responsabilité et de morale dans les marchés financiers.
Je souhaite que cela fasse l’objet d’un grand débat citoyen, où l’on puisse tirer un bilan de ce qui a été effectué en Europe : la promesse de paix, la stabilité, la démocratie, le progrès. Je participerai à ce débat public, afin d’expliquer nos actions pour gérer la crise et en tirer les leçons. L’Europe doit être mieux armée maintenant qu’auparavant. Il faut revenir à une ligne inspirée par l’économie sociale de marché que nous avons quelques fois abandonnée au profit d’une vision trop libérale.
Le moment de la campagne électorale viendra et j’y participerai, d’une manière ou d’une autre. Avec la crise et les doutes qui nous assaillent, nous devons démontrer que le choix n’est plus entre la France et l’Europe, comme certains le disent de manière caricaturale. Elles vont ensemble. Le choix est entre une Europe indépendante, souveraine, ou une Europe sous-traitante et sous influence de la Chine et des Etats-Unis.
Beaucoup de mouvements sociaux français dénoncent le système des « travailleurs détachés », qui crée une concurrence déloyale entre salariés européens. D’où vient le malentendu ?
La France, officiellement, dispose de 165 000 de ses citoyens travaillant sous ce statut hors de son territoire et en reçoit 145 000. Cette directive de détachement des travailleurs date d’une dizaine d’années. Il était normal de l’évaluer et de la réviser. Et c’est ce que nous faisons. A coup sûr, cette directive n’est pas correctement appliquée et fait l’objet de détournements et de fraudes. C’est ce qui crée la polémique et, en effet, de vrais problèmes de dumping social. Je considère qu’elle doit être bien appliquée avec de la rigueur et les contrôles nécessaires, vis à vis de ceux qui la fraudent. J’espère un accord sur cette base, que souhaite la France. Le compromis des Ministres il y a quelques semaines est un pas dans la bonne direction. Il faut maintenant trouver un accord avec final avec le Parlement européen. A terme, peut-être faudra-t-il aller plus loin et créer, comme je l’ai proposé, une agence européenne pour coordonner les inspecteurs du travail.
Vous défendez avec force la taxe sur les transactions financières. Beaucoup de pays reculent y compris la France, en justifiant qu’elle détruirait l’industrie du secteur. Comment les convaincre ?
N’ayons pas la mémoire courte : la crise financière a provoqué beaucoup de dégâts et de conséquences : la perte de onze points de PIB, une aggravation de la crise de la dette souveraine, l’endettement de la France. Le fait de demander à ces marchés de contribuer au financement des enjeux et des défis est moralement et politiquement juste. Tout dépend du niveau de la taxe, de son assiette et de son taux. Les discussions sont en cours.
Les pays de l’Union coupent dans leurs budgets défense, sans pour autant faire émerger une volonté de compenser par une mutualisation des moyens. Si nous voulons conserver une autonomie stratégique, soutenue notamment par notre industrie française de l’armement, la situation est-elle tenable ?
La mutualisation est, selon moi, ce qui caractérise le mieux la construction européenne. Il faut mutualiser une partie de la politique et de la souveraineté des 28 nations et peuples. Pas les fusionner en un état fédéral. Le sujet de la défense est le plus sensible, parce qu’il est celui au cœur de la souveraineté nationale. Aujourd’hui, il apparaît que la question de la défense nationale, ne peut plus être traité au niveau des pays. Cette question doit désormais être européenne. C’est en ce sens que la Commission propose d’aller plus loin dans la mutualisation des industries de défense, en utilisant tous les outils en notre possession : normalisation, standardisation, recherche ; afin de construire une base industrielle. J’espère que cette idée sera suivie par les dirigeants de l’UE. Il est temps pour les Européens de se doter de l’autonomie stratégique et, compte tenu notre industrie d’armement forte, nous avons davantage de raison de plaider en ce sens. L’affaire Snowden a bien mis à jour l’urgence que nous avons d’être autonomes et solidaires. Plusieurs actions ont déjà été effectuées en ce sens ou sont débattues : le logiciel de géolocalisation par satellite Gallileo, le cloud européen, les industries de télécommunications…
Plusieurs observateurs de l’économie, prédisent un déclin du libre-échange globalisé et le retour à un protectionnisme raisonné. Qu’en pensez-vous ? Quelles marges de manœuvre l’Europe peut-elle solliciter ?
Le protectionnisme est pour moi une idée dépassée. Je crois à des protections efficaces, parce que l’Europe ne doit plus être naïve. C’est pour cette raison que j’ai proposé un instrument de réciprocité sur les marchés publics, la régulation pour la protection du secret d’affaires, de saisir en transit les marchandises contrefaites, la mise en place d’un brevet européen et des instruments de défense commerciale. La bonne protection c’est l’investissement, la mutualisation des efforts de recherche, d’innovation et d’éducation pour relever les défis du futur. La principale priorité pour l’Europe est de bâtir une stratégie de compétitivité industrielle, de se redonner les moyens d’être un continent où l’on produit, où l’on détient des industries manufacturières. Il ne faut plus jamais être condamné à acheter les produits achetés en Chine.
Un accord de libre-échange a été conclu entre l’Union européenne et le Canada. N’est-il pas porteur de risques pour le marché intérieur européen ?
Si nous avons signé cet accord, c’est parce qu’il était équilibré : l’Europe et le Canada sont tous deux gagnants. C’est dans cet esprit que nous avons ouvert une négociation avec les États-Unis pour un partenariat commercial éventuel d’une autre ampleur. Les négociations ont commencées et sont conduites avec confiance, mais sans naïveté. Nous ne sacrifions pas nos standards européens dans ces négociations. Jamais. L’objectif est que tout le monde gagne, à travers un accord libre et équitable. Si les autres pays ouvrent leur marché, nous aurons beaucoup à gagner dans un échange bien organisé et ordonné.