Les 24 et 25 juin, à La Haye, les dirigeants des 32 pays membres de l’alliance transatlantique se retrouvent pour un sommet de rupture. Sous pression trumpienne, l’Alliance doit acter un objectif budgétaire inédit : consacrer 5 % du PIB à la défense. Après des décennies de réticence à endosser une posture militaire affirmée, l’Europe est sommée d’assumer le coût de sa sécurité. Le 12 décembre dernier, Mark Rutte (successeur de Jens Stoltenberg à la tête de l’Alliance) exhortait déjà « à penser économie de guerre » lors d’un discours à Bruxelles.
À La Haye, le secrétaire général de l’OTAN et ex-Premier ministre néerlandais, entend avancer l’Alliance vers un compromis budgétaire : atteindre les 5 % du PIB par une répartition entre 3,5 % pour les dépenses militaires stricto sensu et 1,5 % pour des dépenses connexes (infrastructures, cybersécurité, soutien aux industries de défense). Une façon de répondre à l’injonction lancée par Trump avant même son investiture, sans exiger des hausses budgétaires trop brutales.
Pourtant, cet aménagement à lui seul suscite des réticences auprès des alliés. Si la Pologne dépasse déjà 4 % (la montée en tension et sa proximité avec la Russie y contribuant), la majorité des Européens peine à atteindre les 2 % fixés en 2006. En 2024, seuls 23 pays de l’Alliance respectaient ce seuil, contre trois en 2014. La France, à 2,06 %, se situe elle aussi dans la moyenne basse. L’Espagne, lanterne rouge du classement à 1,28 %, avait déjà déclaré qu’elle n’ira pas plus loin avant que Pedro Sanchez (président du gouvernement espagnol) finisse par rentrer dans le rang, ce dimanche 22 juin. Quant au Royaume-Uni, il prévient qu’il ne pourra pas dépasser 3 % avant 2034. Pour Paris, atteindre ce seuil impliquerait 8 milliards d’euros supplémentaires chaque année d’ici 2030 : un effort difficilement soutenable dans un contexte budgétaire déjà tendu.
Compte tenu des angoisses qu’elle suscite de part et d’autres de l’UE, la guerre en Ukraine reste le catalyseur. Mark Rutte estime notamment que la Russie pourrait recourir à la force militaire contre l’Alliance dans les cinq prochaines années. Les États baltes se montrent déjà en alerte maximale, alors que les deux nouveaux arrivants dans l’Alliance que sont la Finlande et la Suède préparent leur population à cette éventualité. Les Américains, eux, conditionnent leur présence en Europe à un « partage du fardeau » plus équitable. En clair : l’Europe doit payer si elle veut rester sous le parapluie nucléaire américain. En coulisses, les diplomates évoquent un sommet où « tout peut arriver », selon un cadre de l’OTAN. À croire que les déclarations de J.D. Vance à Munich résonnent encore dans les esprits européens.
Derrière l’objectif des 5 %, se joue aussi un rapport de force stratégique. L’administration Trump ne cache plus son souhait de recentrer l’OTAN sur la défense du continent européen, en limitant ses ambitions globales. Finies les aventures au Sahel ou les coopérations en Asie-Pacifique : l’Alliance devrait revenir à sa fonction première, la dissuasion face à la Russie… Quitte à froisser ses membres du flanc sud.
La pression américaine ne se limite pas au budget. Les États-Unis cherchent en effet à renforcer leur emprise sur les contrats stratégiques, à l’image du partenariat passé avec Palantir pour le commandement numérique des opérations militaires, ou de l’option Starshield (constellation satellitaire d’Elon Musk) en ce qui concerne les communications spatiales.
En cela, le sommet de La Haye apparaît comme un révélateur : celui d’une Europe qui n’a pas d’autre choix que de redevenir une puissance, même en l’absence de doctrine, de moyens ou de volonté politique commune, pour s’émanciper de l’imprévisible Oncle Sam.