« Néo-nazi », « skin » ou tout simplement « raciste » : les termes ne manquent pas pour qualifier les militants de l’extrême droite sur internet, dont les adversaires englobent communément toutes les mouvances sous l’appellation « fachosphère ». Composée de blogs indépendants, de fanzines et de portails musicaux peu connus au début, cette communauté a pourtant su tirer parti des nouvelles possibilités offertes par le web pour structurer son action à la manière d’un véritable mouvement politique. Une ascension en forme de « blietzkrieg ».
Des familles de pensée multiples
377. C’est le nombre de sites web et blogs français à tendance ultra-droite que les étudiants de l’École supérieure de journalisme de Lille ont répertorié sur Transeuropeextremes.com. Si la présence extrémiste en ligne fait l’objet de nombreuses publications, toutes souhaitent cerner si les réseaux observés sont représentatifs ou non des mouvements existants en dehors. Car cette « nébuleuse de tendances » que décrivent Marc Jacquemain et Fédéric Claisse dans leur livre Que sont les fachos devenus ? s’est beaucoup diversifiée depuis son origine et ne rassemble plus uniquement les nostalgiques d’Hitler. Se faisant plus diffuse dans la société, elle ne manque pas pour autant de revendications racistes et antisémites qu’elle justifie à coup de références littéraires idéologiques, dont la plus emblématique reste encore la « race aryenne ».
Un filtre à l’actualité
Sans tirer de constat alarmant, ce serait se leurrer que de vouloir ramifier l’ampleur de la fachosphère aux frontières géographiques d’un pays à l’heure d’internet. Un simple coup d’œil aux forums suffit pour comprendre que les plus influents comportent pour la plupart des sections internationales… y compris francophones, où les débats, sur l’islamisation notamment, font rage. Pour Alban Martin, vice-président du Social Media Club France et maître de conférence associé au Celsa Paris IV Sorbonne, « chaque opinion privée circule désormais au même titre qu’une information publique et regroupe de ce fait un microcosme de personnes aux pensées similaires, aussi confinées soient elles (…) Ayant potentiellement accès à la même audience qu’un média traditionnel, la fachosphère veille à l’actualité brûlante pour rebondir sur ses thématiques de prédilection en produisant des tribunes, par exemple. Ce verre polarisant ne propose en fait qu’une seule lecture de l’information, donnant l’impression que le débat tourne toujours autour des mêmes sujets ». Ce traitement sélectif permettrait ainsi de séduire des populations plus jeunes, ou du moins celles qui ne porteraient pas encore de regard critique sur les nouvelles ingérées au quotidien.
Impossible répression
En l’absence de coordination des politiques internationales et européennes, toute condamnation s’avérerait pour autant inefficace. Car si la France interdit l’incitation à la haine raciale, aux États-Unis, la sacro-sainte liberté d’expression empêche de poursuivre une action de ce genre. Sans parler de l’effet « hydre à deux têtes » lors de la suppression d’un site, qui entraine la création immédiate de plusieurs sites-miroirs hébergés dans des pays à la législation moins stricte. Autant de facteurs qui amènent Alain Moreau à affirmer dans L’extrême droite et Internet « jusqu’à aujourd’hui, les tentatives d’expurger Internet de ses dimensions les plus malsaines sont restées plus que théoriques […] Les choses se compliquent encore avec le débat sur le principe de liberté d’expression absolue ou relative dans Internet. » En l’absence de réglementation, la réplique ne s’est pourtant pas faite attendre. Le collectif Anonymous a notamment piraté plusieurs sites radicaux en 2012 tandis que d’autres hackers publient régulièrement des données embarrassantes sur les dits « fachos». Une riposte de l’ombre.