Créés en 2002 à partir des anciennes « technopoles », les 71 « clusters à la française » sont-ils des « accélérateurs de croissance » ? Ils continuent en tous cas à générer de l’innovation autour des spécialisations industrielles de chaque bassin d’emploi. Le gouvernement a même annoncé une « nouvelle phase » de cette politique qui permet à la fois d’être mieux connu à l’étranger et d’attirer les investisseurs.
Re-voilà, dans le droit fil du rapport Gallois, les « pôles de compétitivité » sur le devant de la scène. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a annoncé une « nouvelle phase » de cette doctrine de bon sens consistant à encourager les entreprises à se rapprocher autour d’une même spécialisation.
Lancée officiellement en 2002 peu après la réélection de Jacques Chirac, sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, la politique des « pôles de compétitivité » a été parfois associée à la volonté de renouer avec un certain « volontarisme industriel » identifié aux années Pompidou. Les 71 nouveaux pôles français ont en réalité pris le relais de nombreuses « technopoles » initiées par des entrepreneurs et des élus locaux inspirés par plusieurs expériences étrangères. Celle des « clusters » américains, comme la fameuse « Silicon Valley », consacrée aux nouvelles technologies, sert d’exemple mais aussi certains regroupements suédois ou italiens autour du meuble et de la confection.
Une vision un peu intellectuelle du phénomène conduirait à le placer sous le patronage de l’économiste classique David Ricardo qui prônait que chaque pays ou région devait se spécialiser dans le domaine où il était le moins mauvais – l’horlogerie en Suisse, par exemple – et commercer avec les autres bassins d’emploi compétents dans des domaines différents. Certains partisans français de ces « grappes d’entreprise » préfèrent plutôt évoquer les travaux plus contemporains de Michaël Porter, professeur à Harvard, qui a modernisé la théorie des « avantages compétitifs » dans une économie mondiale de plus en plus concurrentielle. Il convient en effet de partir d’un constat. À l’heure de la globalisation des échanges, certaines activités protégées naguère par des barrières douanières ou des impératifs de défense nationale n’auront à terme plus d’avenir. Les pôles de compétitivité ont été créés pour mobiliser les facteurs clefs de la compétitivité au premier rang desquels figure la capacité d’innovation, et ainsi développer la croissance et l’emploi sur des marchés porteurs.
Les « clusters à la française » rassemblent sur un territoire bien identifié et une thématique industrielle particulière, des entreprises petites et grandes, des laboratoires de recherche et des établissements de formation. Ils ont vocation à soutenir l’innovation, favoriser le développement des projets collaboratifs de recherche et développement particulièrement innovants. Leur rôle collectif est donc de favoriser la croissance et l’emploi. L’enjeu est de s’appuyer sur les synergies et la confiance créées entre des acteurs se connaissant bien et se rencontrant facilement pour susciter une coopération concrète dans des projets collaboratifs et innovants. Il s’agit aussi de permettre aux entreprises impliquées de prendre une position de premier plan dans leurs domaines, quelle que soit leur taille, en France et à l’international.
Dépasser les schémas traditionnels
Les pouvoirs publics nationaux, par l’intermédiaire des préfets et des administrations déconcentrées de l’État, ont été incités à soutenir les élus régionaux et locaux déjà associés à cette dynamique. Pour les gouvernements successifs depuis dix ans, la politique des pôles de compétitivité apporte une chance d’accélérer la croissance de l’économie française et de ses entreprises par l’innovation. Elle incite les entreprises à dépasser les schémas traditionnels de recherche et de production. Il s’agit de conforter des activités, essentiellement industrielles, à fort contenu technologique ou de création sur des territoires où elles ont déjà déjà formé de la main d’œuvre et acquis du savoir-faire tout en améliorant l’attractivité de la France, grâce à une visibilité internationale renforcée.
À partir d’une vision partagée par les différents acteurs, chaque pôle de compétitivité élabore sa propre stratégie à cinq ans, ce qui lui permet de concrétiser des partenariats entre les différents acteurs ayant des compétences reconnues et complémentaires. Ainsi peuvent émerger des projets collaboratifs stratégiques de recherche et développement qui peuvent bénéficier d’aides publiques, notamment auprès du Fonds unique interministériel (FUI). Partout, l’objectif est de promouvoir un environnement global favorable à l’innovation et aux acteurs du pôle en conduisant des actions d’animation, de mutualisation ou d’accompagnement des membres du pôle sur des thématiques telles que l’accès au financement privé, le développement à l’international, la propriété industrielle, la gestion prévisionnelle des compétences et les ressources humaines. L’un des exemples les plus emblématiques de réussite en ce domaine reste celui de la « Cosmetic Valley », au départ organisée à partir des usines de parfum de la région de Chartres et qui s’est étendue jusqu’à Orléans et Tours, occupant plus de 20 000 salariés et inspirant la recherche universitaire en dermatologie ou les designers pour les flacons et les emballages. Mais il n’y a pas, en réalité, d’activité type ni de dimension moyenne car on ne saurait comparer le pôle aéronautique et militaire rassemblant des centaines de sous-traitants des régions Aquitaine et Pyrénées avec le pôle constitué autour de Dijon autour de la diététique et de l’agro-alimentaire…
Mieux accompagner les PME
Au début de cette année, trois ministres en charge de la politique des pôles de compétitivité ont présenté une communication en Conseil des ministres pour préciser les grandes orientations de la troisième phase couvrant la période 2013-2018. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, Cécile Duflot, ministre de l’Égalité des territoires et du Logement et Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ont ainsi développé une communication commune. Elle s’est inscrite en cohérence avec la décision n°10 du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Les ministres ont indiqué que « l’ambition nouvelle des pôles est de se tourner davantage vers les débouchés économiques et l’emploi ». Pour atteindre cet objectif, les pôles de compétitivité doivent devenir des « usines à produits d’avenir » qui transforment les efforts collaboratifs des travaux de recherche en produits, procédés et services innovants mis sur le marché. La communication a ajouté que les dépenses regroupées dans le budget de l’État au titre des « investissements d’avenir» seront mobilisées pour soutenir l’industrialisation des projets des pôles.
L’expérience a montré que les PME travaillant auprès des grands groupes ou nouant des collaborations entre elles ont besoin d’être mieux accompagnées en matière d’accès au financement privé, de recherche de marchés à l’international et d’anticipation des besoins en compétences ». Les pouvoirs publics veulent manifestement utiliser les « pôles de compétitivité » pour mettre de l’ordre dans le maquis des « aides à l’entreprise ». Mais cela ne sera pas très simple. On sait notamment que les différents soutiens au Commerce extérieur passent par quantité d’acteurs qui aboutissent à de l’éparpillement et du saupoudrage. Il y a en domaine « beaucoup d’avant-centre qui n’aiment pas se passer le ballon » selon la remarque récente entendue à Bercy par un journaliste de l’Express. Le danger serait donc – car nous sommes en France – que les structures, en principe légères, des pôles de compétitivité se superposent à celles des chambres de commerce ou organismes régionaux ou nationaux, de type Coface ou Oséo. En théorie, l’offre de services collectifs et individuels proposée par les pôles à leurs adhérents devra s’inscrire en complémentarité avec celles mises en œuvre par les autres acteurs présents sur le territoire. Vœu pieux ? Espérons que non. La grande vertu des « pôles de compétitivité », au départ, était de laisser libres les entrepreneurs qui, à partir de projets concrets, allaient chercher ensuite le soutien des élus et des centres de recherche universitaires ou privés. Cet état d’esprit ne doit pas disparaître même si certaines initiatives gouvernementales, telles que le « contrat de performance individualisé » peuvent déboucher sur une meilleure harmonisation de l’innovation sur l’ensemble du pays. En consultant sur Internet l’annuaire des projets de recherche des différents pôles, on s’aperçoit vite que la plus grande diversité préside à ces initiatives. Cela va d’un nouveau réservoir de carburant pour les avions à la mise au point de nouveaux outils chirurgicaux, en passant par les drones sous-marins, la mise en valeur de nouvelles variétés de blé ou le recyclage des panneaux photovoltaïques. La France industrielle est en pleine transformation mais les idées ne manquent pas. On ne sait pas toujours que l’attrait du potentiel de recherche et d’innovation a été très fort au cours des décennies précédentes. Il a été rappelé, lors du lancement de la troisième phase des pôles de compétitivité, que notre pays compte 20 000 entreprises étrangères sur son sol et 700 décisions nouvelles d’investissements étrangers créateurs d’emplois par an. La France est une destination de premier ordre pour les investissements directs étrangers.
Dans un environnement mondial caractérisé par une mobilité croissante du capital international et par une concurrence renforcée entre les économies, le gouvernement souhaite consolider la place de « leader » de la France en Europe pour les investissements industriels et améliorer sa performance concernant les autres investissements créateurs de valeur. Il se fixe un objectif de 1 000 décisions d’investissement ciblant annuellement la France d’ici à 2017, et l’accueil chaque année de 300 entreprises non encore implantées sur le territoire. Les pôles de compétitivité constituent des territoires attirants pour les entreprises étrangères souhaitant associer leur image à des régions réputées pour leur goût du travail bien fait. De quoi contredire les « déclinistes ».