Christiane Taubira « incarne quelque chose qu’on ne voit pas assez souvent : de la conviction basée sur une culture littéraire ». Le compliment est signé Jean-Jacques Urvoas au micro de BFM TV. La garde des Sceaux a illuminé le débat sur le texte de loi, suscitant un élan de sympathie dans l’hémicycle et dans l’opinion.
1er acte : le discours d’introduction
Les députés de gauche l’applaudissent longuement. Christiane Taubira a magistralement réussi son entrée sur scène. En l’espace de 30 minutes, sans lire ses notes, la ministre entre dans une autre dimension politique, se payant le luxe de conclure par des vers : « Nous en sommes si fiers que je voudrais le définir par les mots du poète Léon-Gontran Damas : l’acte que nous allons accomplir est « beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales ». Il est « grand comme un besoin de changer d’air ». Il est « fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue ».
2e acte : le combat
Galvanisant ses troupes, n’hésitant pas à provoquer l’opposition, c’est à elle que revient l’honneur de mener la première bataille du quinquennat. Face à Laurent Wauquiez qui l’accuse de l’avoir traité d’hypocrite, Christiane Taubira hausse le ton : « Je maintiens que je pose des mots sur des sentiments et des comportements. Et je dis que, oui, il reste hypocrite de faire semblant, de ne pas voir ces familles homoparentales et ces milliers d’enfants qui sont exposés au regard social réprobateur. » « Elle pulvérise la droite et c’est jouissif » confie le rapporteur du projet Erwann Binet à Rue89.
3e acte : moment de légèreté
Le cocktail d’invectives et de fatigue accouche heureusement de moments plus légers. Accusant l’opposition de vouloir démanteler le projet de loi « par petits bouts », Christiane Taubira n’a pu réprimer un fou rire face au geste évocateur du député UMP Philippe Gosselin, regagnant sa place les larmes aux yeux. Du perchoir aux bancs de l’Assemblée, la bonne humeur reprend ses droits quelques minutes. C’est aussi ça la « Taubira touch ».
4e acte : le bouquet final
« Qui fait le malin tombe dans le ravin » : Hervé Mariton aurait dû se méfier. Tentant de coincer Christiane Taubira sur les poèmes de Léon-Gontran Damas, l’orateur du groupe UMP se voit réciter un des poèmes du recueil Black Label (1956), l’œuvre la plus connue de l’auteur guyanais : « Je vais vous dire ce que vous aurait dit Léon-Gontran Damas par rapport à ce que vous venez de dire», commence la ministre. «Nous les gueux/ nous les rien/ nous les peu/ nous les chiens/ nous les maigres/nous les Nègres/ Qu’attendons-nous/ Qu’attendons-nous pour faire les fous/ pisser un coup/ tout à l’envi/ contre la vie/ stupide et bête/ qui nous est faite ?» continue-t-elle. «Si nous, si nous nous n’accordons pas l’égalité des droits, si nous nous ne reconnaissons pas la liberté, nous leur disons, qu’attendez-vous pour faire les fous sur cette vie stupide et bête».
Être la cible des critiques de la droite depuis sa prise de fonction lui sera peut-être utile en fin de compte. À la faveur du débat, Christiane Taubira s’est imposée comme « premièreministrable ». Intelligence, autorité, charisme et désormais légitimité : François Hollande peut se réjouir d’avoir un tel atout dans sa manche. Attention à ne pas le gâcher.