Six mois après l’effondrement mortel de deux immeubles rue d’Aubagne à Marseille, le sénateur Bruno Gilles continue de lutter contre l’habitat indigne et l’insalubrité sans négliger la campagne pour la mairie de la cité phocéenne. Rencontre.
Au mois de mars le Sénat a renvoyéen commission votre proposition de loi pour « améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux », repoussant son examen en séance publique au mois de juin. Pourriez-vous en présenter les axes d’action principaux ?
Le drame de la rue d’Aubagne du 5 novembre dernier a agi comme un révélateur, mettant en lumière des situations identiques en France. Les dispositifs existants doivent donc être améliorés, tout comme d’autres qui nécessitent d’être adaptésàl’évolution des situations.
Cette nouvelle loi repose sur trois axes principaux et regroupe neuf propositions :
- Renforcer les capacités de contrôle et d’intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière de logements insalubres ou dangereux:
- Soumettre àautorisation préalable toutes les opérations tendant àdiviser un logement en plusieurs logements;
- Modification des conditions dans lesquelles le maire ou le président de l’EPCI délivre un « permis de louer» ;
- Permettre au maire ou au président de l’EPCI de consulter le casier judiciaire d’une personne qui sollicite un permis de louerou un permis de diviser un logement;
- Simplifier, dans le respect des exigences inhérentes au respect du droit de propriété, l’expropriation en raison de l’insalubrité ou de la dangerosité des immeubles.
- Accélérer les réponses aux situations d’insalubrité et de dangerosité des immeubles:
- Ramener d’un an àtrois mois la durée maximale d’habitation d’un immeuble déclaréirrémédiablement insalubre;
- Abaisser de trois à un mois le délai imparti pour qu’un agent se rende sur place et dresse un PV.
- Renforcer l’efficacité des sanctions contre les marchands de sommeil:
- Aggravation des sanctions administratives encourues, en cas de manquement à l’obligation de déclaration la mise en location ou à celle de disposer d’un « permis de louer» ;
- Autoriser les associations à saisir la justice au nom d’occupants de logements loués par des marchands de sommeil.
Pourquoi la commission a-t-elle demandé un délai supplémentaire ?
La lutte contre l’habitat insalubre est un sujet très dense et très complexe qui mobilise de nombreux outils et acteurs. La chaine de décision est tortueuse et la bonne compréhension du schéma d’intervention indispensable, alors que les délais d’examen des textes sont en réalité trop courts pour appréhender l’ensemble des données.
C’est pourquoi la Commission a pris le temps d’organiser des visites de terrain et, par ses retours, apportédes éléments complémentaires à même de construire un dispositif efficace et pérenne.
De plus, la loi portant Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique, dite loi ELAN, adoptée en octobre 2018, fournit de nouveaux outils d’intervention dans la lutte contre les marchands de sommeil, en particulier des délais d’intervention réduits. Ce texte s’appuie sur de nombreuses ordonnances qui devaient faire l’objet d’une ratification par le Parlement. Elles doivent aussi être prises sur la base des conclusions prochaines du rapport de mission de notre collègue député du Val d’Oise, Guillaume Vuillet et, qui sera remis au Premier ministre ce mois et qui traite de la question du logement indigne et insalubre.
Quel « état des lieux »dresseriez-vousàpropos de la qualitédu logement sur le territoire que vous représentez ?
Entrainant la mort de huit personnes et l’évacuation par la suite de près de 1 600 individus, le drame de la rue d’Aubagne nous a permis de pointer du doigt une réalité douloureuse, non seulement àMarseille mais aussi en France. Malgré une amélioration continue des conditions de logement au cours de ces dernières années, on recense sur l’ensemble du pays plus de 420 000 logements indignes dans le parc privé.
Ce qui s’est passéàMarseille a également mis en lumière le fait que l’habitat indigne et l’insalubritéconcernent encore près de 40.000[1]logements. C’est un enjeu non seulement local maiségalement national et les collectivités territoriales doivent être soutenues par l’Etat dans leurs missions de détection et d’assistance pour la mise en place des travaux.
Quant à la lutte contre les marchands de sommeil, j’inscris pleinement mon activité de sénateur dans ce combat et les propositions faites vont dans ce sens. Il faut pouvoir créer une dynamique de projet urbain global. J’ai pu ainsi proposer la création d’une Opération de Requalification des Copropriétés dégradées, indispensable pour que la puissance publique et les acteurs privés conjuguent leurs efforts.
Ainsi, à Marseille, le 3 mai dernier, a été signée une charte contre l’habitat indigne entre la Ville de Marseille et trois syndicats de propriétaires et de professionnels de l’immobilier.
L’objectif est d’inciter les propriétaires privés à s’assurer de la salubrité et de la sécurité de leurs immeubles par une expertise professionnelle sur les parties communes et privatives.
Les services de la Ville connaissent une augmentation significative de leur activité qui traduit les effets conjugués de l’action privée et publique pour gérer et parvenir, le plus vite possible, à mettre un terme à cette crise.
Dans la perspective des prochaines élections municipales, vous faites partie des candidats potentiels à la mairie de Marseille. Quelle vision de l’avenir cultivez-vous pour cette ville ?
Au-delà la question du logement insalubre, il me paraît indispensable d’évoquer les projets pour l’amélioration de la qualité de vie en centre-ville. A Marseille, celui-ci appartient avant tout àses habitants, qui doivent pouvoir y vivre dignement et en toute sécurité. A cet effet, la création de la Zone franche urbaine devrait susciter une nouvelle dynamique par des aides et des subventions cumulatives afin que ce périmètre puisse renouer avec l’attractivité et la réussite économique.
La transformation en profondeur du Centre-Ville de Marseille repose sur plusieurs points qu’il nous faudra encore développer :
- L’amélioration de l’habitat et le développement de nouvelles dynamiques économiques et sociales;
- L’aménagement et l’équipement urbains;
- La piétonisation;
- La végétalisation.
Il nous faut par ailleurs recréer des lieux de vie en centre-ville en requalifiant et en valorisant les quartiers de l’hyper-centre.
Marseille s’affirme comme un haut-lieu du tourisme méditerranéen. Comment pourrait-elle renforcer davantage encore son rayonnement à l’échelle européenne ?
Le tourisme doit avant tout être pensé comme une opportunité pour la création d’emplois et le développement économique de notre ville. Il doit se faire efficacement pour bénéficier à tous, tout en transformant l’image de Marseille. En ce sens, je pense que l’axe écologique est intéressant et particulièrement sur les escales de grands paquebots. Ceux-ci doivent êtreélectrifiés pour leur stationnement àquai et la loi a en vue d’imposer des carburants plus respectueux de l’environnement.
Par ailleurs, il nous faut favoriser l’installation àMarseille d’évènements de haut niveau afin qu’elle remporte d’autres distinctions, par exemple dans les domaines culturels et scientifiques, àl’instar de ce que nous avons déjàréalisé(Marseille, capitale européenne de la culture ; Marseille, capitale européenne du sport).
Sans oublier de développer aussi l’axe sur le transport ou encore les connexions ferroviaires, notamment vers les grandes villes de France et d’Europe. Je pense notamment à la réussite du projet « Marseille-Gênes, corridor européen », financée à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros par les fonds européens.
[1]Cf. Rapport de Christian NICOL (Inspecteur général honoraire de l’administration du développement durable), sur la requalification du parc immobilier privé, préparé à la demande de la ministre du logement (Sylvia PINEL) en mai 2015 mais non publié. Selon les chiffres établis par ce rapport, l’habitat indigne était estimé à 13% du parc privé marseillais (2013), soit 42.200 logements sur les 377.000 résidences principales que compte Marseille.
Crédit de l’image à la Une : Prebas-Mounissamy.